Ce fut agréable de m'évader dans les années 90 le temps de la lecture d'Un si petit monde, lequel est celui qui gravite autour d'un établissement scolaire de province.
Qui, mieux que Jean-Philippe Blondel pourrait écrire sur ce microcosme qu'est l'Education nationale et qu'il connait parfaitement de l'intérieur ? Il ne cherche pas à masquer son amour pour son métier d'enseignant. Pour y avoir un temps moi-même mis les pieds, je dois dire que les passages liés à l'enseignement sont d'une rigueur quasi scientifique. Et très intéressants.
1989 : la planète entière, fascinée, suit heure après heure la chute du mur de Berlin ; la peur du SIDA se diffuse ; la mondialisation va devenir la norme... Un avenir meilleur serait-il possible ? La guerre du Golfe va très vite confirmer que le nouveau monde ressemble à l’ancien.Pendant que les évènements se précipitent, les habitants du groupe scolaire Denis Diderot redéfinissent leur place dans la société. Janick Lorrain et Michèle Goubert découvrent qu’on peut vivre sans hommes. Philippe Goubert, indécis, va être soudain confronté à la révélation d’une vocation. Geneviève Coudrier semble inamovible, mais c’est le secret qu’elle cache jalousement qui va soudain faire bouger les lignes
Par contre, la lecture réclame de l'attention. Peut-être surtout parce que je n'avais pas lu le précédent roman, La Grande Escapade. Bien que les deux ouvrages soient indépendants, j'ai eu quelques difficultés à suivre les parcours croisés des personnages. Il aurait été plus aisé de les identifier si je les avais découverts dans le premier opus.
L'écriture est extrêmement cadencée. L'intrigue de Un si petit monde progresse au rythme d'une large marche. La cohorte enfle, augmentée de temps en temps par un nouveau personnage dont les contours ne nous sont précisés que quelques pages plus loin.
Gérard Lorrain qui ne voulait pas laisser "passer ses rêves. Il irait aux confins du monde connu" (p. 43). Janick Lorrain qui envoie subitement tout valser et qui "serre les dents pour lutter contre cette irrigation impromptue qui menace ses yeux" (p. 67). Cette femme, à la force d'une statue, qui peut être terrassée par une crise de panique dès lors qu'elle constate que "rien ne peut être considéré comme acquis dans l'existence" (p. 70). Philippe Goubert qui refuse de se "laisser déborder" (p. 104). Magali et Baptiste Lorrain qui "n'osent pas encore tirer des plans sur la comète. Ils marchent sur la pointe des pieds sur le sentier de leur nouvelle vie" (p. 119).
Le récit est dense, sans aération de sauts de ligne. Les paragraphes s'enchainent dans un rythme soutenu. Les dialogues sont brefs et n'interrompent pas le fil. Jean-Philippe Blondel semble s'affranchir de la pesante nécessité de planter décor et personnages. Il laisse aux jolies expressions le temps de surgir.
Pourtant, j'ai aimé ces entrecroisements de trajectoires. Malgré une espèce de forme d'étouffement. Est-ce voulu par l'auteur pour signifier l'étroitesse de ce microcosme provincial ? De ce "cercle qui s'est petit à petit formé autour de Philippe Goubert" (p. 149) jusqu'à former le "on" multiple des personnages gravitant dans ce "si petit monde" comme le qualifie Michèle Goubert (p. 211).
J'ai apprécié de me retrouver dans la fin des années 80, que je croyais particulières juste pour moi car elles marquent la naissance de mes enfants. En lisant ce roman je redécouvre combien la synchronicité est vécue par des millions de personnes, tous différents et pourtant si semblables, et qui pensent naïvement traverser des moments uniques. Les guerres, les traités de paix, les attentats, … jusqu'aux confinements successifs que nous subissons et dont on croit s'accommoder. Ces instants historiques ne provoquent pas que des ondes de choc politiques. Ils nous influencent et conditionnent nos choix notre insu.
Entre les "on pourrait" et les renoncements, que de bifurcations possibles !
Un si petit monde, de Jean-Philippe Blondel, Buchet Chastel, en librairie depuis le 4 mars 2021
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