Après le théâtre en début de semaine avec la Cérémonie des Molières, place au cinéma avec deux films sur le thème des beaux-arts, Le tableau volé de Pascal Bonitzer, et La couleur dans les mains de Nora Hamdi que j'ai vu en avant-première au cinéma Le Rex de Châtenay-Malabry.
Tous les deux sont construits sur des faits réels qui sont liés à des secrets. Dans chacun il sera plus ou moins question d'Egon Schiele.
Pour son troisième long métrage, elle a choisi d'adapter elle-même le roman éponyme qu'elle a publié en janvier 2011 aux éditions Léo Scheer et qui s'inspire très largement de sa propre histoire.
A vingt ans, Yasmine cherche à quitter sa cité pour devenir peintre. Elle trouve un studio à Paris à la condition apparemment anodine de changer Yasmine Belhifa en Janine Beli.Changer de nom va vite lui rappeller un passé trouble. En 1990, alors qu'elle n'avait que six mois, ses parents mouraient dans la vague d'attentats qui a secoué l'Algérie. L'oncle qui l'a élevée n'a jamais réussi à lui parler du drame et sa tante se l'interdit par respect pour son mari.Après quelques expositions collectives, on lui propose sa première exposition personnelle. Son oncle, invité au vernissage, finira par lui révèler le secret de ses parents et leurs combats. Il lui rappelle la richesse de son héritage culturel et démontre que les Arabes ne sont pas tous des terroristes.
Née à Argenteuil, Nora Hamdi a écrit son premier roman, Des poupées et des anges (2004), qu'elle adapte en 2008 au cinéma après huit années consacrées à la peinture. Elle a également écrit Plaqué or (2005) et Les Enlacés (2010), puis La maquisarde (2014 chez Grasset) dont elle fait un film en 2019. La couleur dans les mains était son cinquième roman. C'est son troisième long métrage.
Il lui a fallu une énergie considérable pour aller jusqu'au bout du parcours conduisant à la sortie d'un film. C'est Nora qui le distribue elle-même avec un courage comparable à celui de son héroïne, et pour cause.
Comme les précédents, la réalisatrice creuse de nouveau le sillon de la construction d'une jeune fille, avec cette fois le prisme de la peinture. Le scénario, adapté par elle-même de son livre, aborde plusieurs thèmes dans lesquels la jeunesse actuelle pourra se reconnaitre. Comment devenir soi-même quand on est enfermé dans des clichés qui ne nous correspondent pas ? La place qu'on prend est-elle celle qu'on mérite ou se réduit-elle à celle à laquelle on nous restreint ?
C'est un sujet universel, admirablement traité par Annie Ernaux sous l'angle des origines sociales. Ici l'héritage est celui des a priori supposant que tous les algériens seraient des terroristes en puissance dont il faut se protéger et prédisposant, sans du tout la justifier, une discrimination dans l’accès au logement et au travail. Les jeunes des cités vivent de tels défis quotidiennement et douloureusement.
Comment se construire s'il faut doit renoncer à son nom de famille ? C'est un dilemme d'ailleurs fréquent chez les artistes dont les coachs recommandent un changement pour mieux répondre aux attentes de la cible potentielle. Ici le motif est qu'il est d’origine algérienne et qu'il évoque des actions terroristes dont, comble de malchance, la jeune femme a été victime puisque ses parents en ont perdu la vie.
Remplacer son nom de famille par un nom qui sonne français n'est pas "juste un détail". Il sera lourd de conséquence. Yasmine se coupe du même coup de son histoire, alors qu'elle pressent que la disparition de ses parents dans un soit-disant accident de voiture est le résultat d'une tragédie dont on lui cache le vrai motif. Combien de familles réagissent en cachant la vérité "pour le bien" des enfants ! Il s'ensuit des problèmes de santé qui vont l'isoler.
Nora Hamdi filme la capitale sous des angles qui ne nous sont pas habituels. Elle saisit le processus créatif comme le ferait une documentaliste. Ce sont d'ailleurs ses propres toiles, lui restant de séries cassées, qu'elle a employées et c'est très émouvant de le découvrir. Sa comédienne, Kenza Moumou, est une interprète très fine dont il faudra suivre le parcours. Enfin elle insère à bon escient des images d'archives qui ne lâchent pas l'esprit de Yasmine. La musique de la compositrice d'origine polonaise Anna Anka Korbinska qui a rappelé le texte est exactement ce qui convenait.
Ce très beau film illustre la pensée de la philosophe Simone Weil : On ne choisit pas d'où on vient mais on choisit ce qu'on devient.
Il se termine sur une révélation que je ne spolierai pas mais je peux en donner l'essence : la vérité libère, le secret enferme.
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