La popularité d’un objet tient parfois à peu de choses mais son utilisation par une personnalité peut être déterminante pour en faire un produit à la mode. Tel est le cas du sac Gaji qui a été créé à Taiwan, pendant la période coloniale japonaise (1865-1945) dans le village de Jing Liao, dans le district de Houbi du comté de Tainan.
A l’origine, ce sont les riziculteurs de ce village qui ont eu l’idée d’employer des fibres de Cyperus malaccensis, une plante poussant en abondance dans les marais voisins pour les tresser et en faire de très grands sacs pour gagner un revenu supplémentaire.
Même si la vie agricole était déjà difficile, le courage taïwanais prévalait et toute la famille abandonnait ses outils agricoles pour s'adonner au tissage après le coucher du soleil.
Dès l'âge de dix ans les enfants commençaient à apprendre à tisser tandis que les plus grands aidaient à broyer les tiges de la plante avec de grosses pierres pour les ramollir et les lisser. C’est la technique de tissage qui a donné naissance au curieux nom du sac Gaji, dérivé d’une translittération d’un terme japonais désignant le tissage de sacs (kagiami).
L'industrialisation de Taiwan s’est développée dans les années 1960. On a continué la fabrication mais cette fois en utilisant le nylon et la machine à coudre afin de produire des contenants plus résistants, mais vendus à un prix abordable. Ce sont les habitants de la même communauté agricole du village de Jing Liao qui ont continué à les fabriquer. Encore aujourd'hui les sacs Gaji originaux sont toujours fabriqués à la main dans la même communauté dans une coopérative appelée Gaji Grandmas Workshop.
Ceux qui comprennent le taïwanais peuvent s'en assurer en lisant l'étiquette qui figure en haut du sac. La mention verticale signifie "fabriqué à Taiwan". Le nom de la marque est en haut et celui de l'atelier en bas. On m'a dit que j'avais la chance de disposer du modèle original.
L'aspect d'origine a été conservé, avec les poignées parallèles dépassant des côtés qui en font de très pratiques sacs à provisions réutilisables. Ils sont très faciles d'entretien et d'une bonne durabilité. On comprend qu'ils soient vite devenus indispensables pour les ménagères qui allaient au marché comme pour les agriculteurs qui transportaient leur récolte de fruits et légumes ou les outils de la maison au champ.
Le succès fut au rendez-vous pendant vingt ans jusqu'à ce que l'augmentation du pouvoir d’achat individuel, la modestie de son origine et leurs utilisations utilitaires jouent en défaveur des sacs Gadji. Ils finirent par perdent leur intérêt aux yeux de la jeunesse.
Vingt nouvelles années plus tard, en 2005, le film des deux réalisateurs taïwanais, Let it be de Yen Lan-chuan et Juang Yi-tseng (Grand Prix du Festival du Film de Taipei) les replaça au centre de l’attention. On y voit trois familles d’agriculteurs, au cœur du grenier rizicole du comté de Tainan qui sont sortis de l'anonymat pour devenir de véritables vedettes en raison de leur manière authentique et humoristique de raconter leur métier et leur mode de vie.
A travers leurs documentaires les cinéastes ont réussi à mettre l'accent sur les difficultés des classes sociales taïwanaises les plus défavorisées et sur les questions environnementales auxquelles l’île fait face aujourd’hui. Avec Let It Be ils ont mis en lumière la résilience des agriculteurs de Jing Liao. Au même moment un célèbre chanteur adopta le sac Gaji comme logo, ce qui redynamisa sa popularité.
Les sacs ont reconquis les rues animées du marché de Taipei et celles de la capitale taïwanaise. La jeunesse n'a aucun complexe à les porter avec des baskets de la dernière mode et les personnes âgées y sont revenues en toute simplicité.
De nos jours ces sacs ont dépassé le cercle des sacs à main traditionnels. On remarque ce type de maillage en nylon dans divers produits et vêtements, toujours en bandes et de préférence en associant les trois couleurs de base que sont le bleu, le vert et le rouge, séparées par une linge blanche. On les trouve néanmoins déclinés dans d'autres coloris. Ils ont été adoptés par toutes les générations. Les plus âgées pour leur valeur patrimoniale, les jeunes pour leur esthétique rétro-chic sans oublier les touristes étrangers.
Ils sont partout dans les magazines de mode et leur surnom de "Louis Vuitton taïwanais" circule avec un sens combiné de dérision et de marketing. On m'a rapporté que Balenciaga avait repris ce motif dans une de ses collections. C'est en tout cas "le" cadeau national à offrir aux amis et j'ai été heureuse de le recevoir à l'occasion de mon passage au Centre culturel taïwanais, 78 rue de l'Université - 75007 Paris qui accueillait la conférence de presse de présentation du Festival Off d'Avignon 2024 dont je donnerai les grandes lignes prochainement, mais je signale d'ores et déjà que Taiwan est le pays invité du festival.
Je remercie Chien Hui Wang de m'avoir fourni les renseignements essentiels qui m'ont permis d'écrire cet article. Elle est Commissaire de la librairie du Festival Off d'Avignon pour la durée du festival et organisera une exposition des traductions et des publications françaises liées à Taiwan ayant pour thème "Taïwan, mode d'emploi" ainsi qu'une série de rencontres du 16 au 18 juillet. L'exposition aura lieu simultanément à la librairie du Village du Off et à la librairie La Comédie humaine.
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