C’est bien plus que l’histoire d’un Tableau volé que nous raconte Pascal Bonitzer. Il est parti de faits réels, la découverte fortuite en 2005 dans un appartement acheté en viager à Mulhouse, de l'oeuvre du peintre autrichien Egon Schiele (1890–1918) "Soleil d’automne", connu aussi sous le titre des tournesols, dérobée (comme tant d’autres) par les nazis pendant la Seconde guerre mondiale, semblant perdu, et acquis pour un montant exorbitant lors d’une vente aux enchères record à Londres.
Reproduit à l’identique dans le film, le tableau avait été spolié au collectionneur juif viennois Karl Grünwald (1899–1964), qui a réussi à fuir hors d’Europe tandis que son épouse, sa fille et toute sa famille ont été assassinées à Auschwitz.
Ce tableau peint en 1914, en écho à ceux de Van Gogh, représente des tournesols morts et rabougris sur un fond argenté. On les perçoit malades, voire vénéneux, et leur silhouette fait penser aux corps déformés attribués au peintre autrichien.
Sans la publication de la photo de cette oeuvre en couverture d’un magazine consacré au peintre, ce tableau serait resté accroché dans l’atmosphère enfumé du poêle à bois qui chauffait la chambre d’un jeune homme, à côté de la cible d'un jeu de fléchettes.
Etant relativement peu connu, le spectateur hésite à croire ce qu’il voit et pense d’abord à une totale fiction. Il avait pourtant été exposé d'octobre 2018 à janvier 2019 à la Fondation Vuitton dans le cadre d’une exposition associant Egon Schiele et Jean-Michel Basquiat, comme plus tard cet organisme le fit avec Andy Warhol.
Le réalisateur a conservé l’essentiel de la trame historique et a conçu à partir de là une oeuvre qui autopsie le monde du commerce de l’art, donnant lieu à une fresque sans concession de pratiques douteuses, de compétitions fratricides, de jeux de pouvoir et surtout d’un univers où l’argent est plus important que l’art.
Il brosse aussi le portrait de collectionneurs plus ou moins intègres et pour le moins caractériels. La première scène dans laquelle Marisa Borini interprète une femme riche et non voyante accordant une confiance aveugle donne tout à fait le ton. Des personnages aux ordres gravitent autour, richement rémunérés et qui ne trouvent pas nécessairement le bonheur. Il les oppose à des gens simples qui ne veulent surtout pas "avoir de sang sur les mains", entendons par là pour qui l’argent doit être gagné à la sueur de leur front, et ne pas tomber du ciel, surtout s’il y a eu de la malhonnêteté.
Pascal Bonitzer a construit son scénario à partir d’entretiens menés par Iliana Lolic auprès de galeristes, commissaires-priseurs, collectionneurs, antiquaires qui l’ont inspiré pour imaginer les rôles qu’il a confié notamment en contre-emploi à deux humoristes, Alex Lutz et Nora Hamzawi qui sont de formidables acteurs et qui sont totalement différents lorsqu'ils se produisent dans leurs spectacles sur une scène de théâtre ou de stand-up.
Le premier est le commissaire-priseur André Masson (qui, derrière son apparente simplicité évoque le peintre né en 1896, décédé en 1987, surtout connu pour ses dessins automatiques et ses tableaux de sable) travaillant pour le compte de Scottie’s (qui fait autant penser à Sotheby’s, la plus ancienne société de vente aux enchères d'objets d'art au monde, a été créée à Londres en 1744 qu’à Christie’s, sa concurrente créée elle aussi à Londres en 1766). La seconde interprète Maître Egerman, une avocate travaillant en province, amie de son ex-femme, Bertina, très fantasque mais interprétée tout en nuances par Léa Drucker.
Le réalisateur instille de l’humour que l’on appréciera au second degré, que ce soit l’explosion de rire nerveux du couple découvrant le chef-d’œuvre, leurs échanges encore imprégnés de tendresse, les regards ambigus entre le patron et Aurore (au prénom prémonitoire) stagiaire a priori mythomane (Louise Chevillotte), le décalage entre le monde de l’argent et des artifices et la vraie vie quotidienne des gens qu’on dit simples (mais qui ont une réelle profondeur d’âme), les retournements de situation …
Tout est savamment dosé et on savoure chaque image et chaque réplique. Le commissaire-priseur peut bien sembler artificiel avec sa belle voiture et sa collection de montres de luxe, il devient touchant quand il fait référence à sa naissance à Xonrupt-Longemer, petite ville plantée loin de tout au bord d’un lac lorrain. On le surprend aussi s’émerveiller à la visite du certes exceptionnel Musée National de l'Automobile situé à Mulhouse et qui détient la plus importante collection automobile du monde réunissant plus de 450 voitures d'exception.
Cette alchimie entre vraies inégalités sociales et faux-semblants, dans laquelle il est question d'estime et d'estimation, fonctionne jusqu’au rebondissement final qui rend toute l’histoire crédible en démontrant une fois de plus que les origines resteront toujours trompeuses et qu'il n'est jamais trop tard pour rien co. Et puis c'est l'occasion de nous immerger dans le monde des enchères dont nous découvrons les codes et les usages.
C’est enfin l’occasion de découvrir Arcadi Radeff qui se glisse si bien dans la peau de Martin Keller, le jeune ouvrier découvreur du tableau, qu’il avec une justesse émouvante.
Le Tableau volé de Pascal Bonitzer
Avec Alex Lutz, Léa Drucker, Nora Hamzawi, Louise Chevillotte, Arcadi Radeff…
En salles depuis le 1er mai 2024
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