J'ai lu Clara lit Proust avec avidité. Je ne voulais pas passer à côté d'un roman qui semblait, à en croire les commentaires sur mon fil, être un petit bijou.
Clara lit Proust est le huitième roman de Stéphane Carlier. Il a déjà reçu plusieurs récompenses, parmi lesquelles le prix Albert Bichot 2022, "Livres en Vignes", le prix du Cercle Littéraire Proustien 2022, festival littéraire de Cabourg et le prix @ttitude 2022, décerné par les librairies Attitude.
Clara est coiffeuse dans une petite ville de Saône-et-Loire chez Cindy Coiffure. Son quotidien, c’est une patronne mélancolique, fan de Jacques Chirac, un petit-ami beau comme un prince de Disney qui n'existe qu'à travers ses initiales, JB, un chat qui ne se laisse pas caresser.
Le temps passe au rythme des histoires du salon et des tubes diffusés par Nostalgie, jusqu’au jour où Clara rencontre l’homme qui va changer sa vie : Marcel Proust.
Tendre, ironique et attachant, ce récit d’une émancipation est annoncé comme un formidable hommage au pouvoir des livres.
Autant Proust s’étend sur des pages et des pages, à tel point que beaucoup de "bons" lecteurs n'ont pas réussi à terminer A la recherche du temps perdu, autant Stéphane Carlier a choisi le parti pris de la brièveté. Nombre de ses chapitres ne débordent pas sur une double page. Plusieurs ne dépassent pas les trois lignes (par exemple p. 110). Au moins ça insuffle de l’énergie et son roman se lit très très vite. Mais le contrepied est étonnant.
Tout comme l'histoire dans l'histoire qui intervient avec un changement inopiné de typographie (p. 36 et 92) à moins que quelque chose ne m'ait échappé.
Une chose est certaine, l'auteur aime Proust autant que Céline qu'il s'arrange pour qualifier d'auteurs majeurs en faisant parler un libraire. Il rend un hommage général à la littérature tout en se moquant de ceux qui lisent. Ainsi il fait dire à Mme Habib, la patronne de Clara, N’importe quel clampin dans le métro a un bouquin dans les mains (p. 21).
Il expédie la difficulté à lire le grand Marcel : Proust ce n’est pas difficile, c’est différent (p. 94). Mais il nous expliquera qu'il ne faut pas hésiter, comme son héroïne, à sauter parfois jusqu’à cinq pages qu’elle survole avant de poser les yeux plus loin. Evidemment, vu comme ça …
On ne pourra pas imaginer que son métier de coiffeuse est un pur hasard quand plus loin il sera question d'un certain Fabrice Luchini dont tout le monde sait qu'il fut coiffeur et qu'il est un immense lecteur.
Stéphane Carlier décrit merveilleusement les sensations en peu de mots, et c'est une qualité. Ainsi, les désillusions de Clara à l'égard de de JB forment un petit nuage bien en place dans le ciel de sa vie (p. 31). Il a le sens de la formule en nous disant que pour la jeune femme Proust, c’est son yoga (p. 84). Dans l'oeuvre de grand écrivain les mots sont des fourmis alignées (p. 65) et leur lecture lui donne un sentiment de triomphe (p. 69).
Le thème de l'abandon de livres n'est pas nouveau. J'en ai même trouvé au cimetière Montparnasse sur la surprenante tombe du géographe Antoine Haumont (1935-2016), surmontée d'une sculpture de l'artiste Étienne Pirot, dit Etienne. Il y a un nom pour qualifier la pratique de les laisser sur les bancs publics. C'est le "bookcrossing". Dans le roman c'est un client qui abandonne le sien sur la tablette de la coiffeuse (p. 56). On ne nous donne pas le titre mais on le devine même si on ne l’a pas lu. Inutile de nous aiguiller en nous disant qu'il commence par longtemps je me suis couché de bonne heure …
Il y a très peu de dialogues mais l'ensemble ressemble à du théâtre. L'idée de faire de la lecture à haute voix, soufflée par le personnage hors normes de Claudie (p. 137) n'est pas nouvelle non plus. Peut-être l'auteur aura-il réussi à susciter des vocations … En tout cas il fait joliment envie d'oser ouvrir un des énormes recueils de Proust pour, nous aussi, ressentir une immense compassion parce qu’il lui semble savoir qu’ils (tous ces contemporains de Proust, ces anonymes de 1900-1910) ne savent pas encore que rien ne dure, que toute vie s’oublie et son souvenir d’efface aussi facilement qu’un dessin sur une vitre embuée (p. 138).
Clara lit Proust de Stéphane Carlier, Gallimard, en librairie depuis le 1er septembre 2022
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