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lundi 2 janvier 2017

Vivre !! au Musée de l'Immigration

Vivre ou ne pas vivre, c'est le titre d'une chanson interprétée par Cœur de Pirate, Arthur H et Marc Lavoine dans le conte musical de Fabrice Aboulker et Marc Lavoine, d'après l’œuvre d’Andersen, Les Souliers Rouges.

Agnes b plébiscite la première hypothèse avec deux ! même si elle a conscience que la mort n'est pas une illusion. Elle a choisi 70 œuvres dans son immense collection qu'elle partage avec le public du musée de l'Immigration.

Cela fait des années que la créatrice ouvre l'espace de ses boutiques à l'art contemporain, en particulier la photo. La galerie du Jour (44 Rue Quincampoix, 75004 Paris) est ouverte depuis 1984.

Des années aussi qu'elle soutient (souvent sans que personne ne le sache) des actions artistiques. C'est une mécéne et une collectionneuse, à l'instar des Billarant, lesquels n'ont pas "besoin" qu'un musée les accueille puisque il ont aménagé le leur, dans un Silo à Marines (94).

J'ai visité cette exposition, qui vit hélas ses derniers jours de présentation. Ne manquez pas d'aller "feuilleter" ce carnet dont les chapitres sont calligraphiés de la main si élégante de cette femme exceptionnelle. Sauf mention particulière les oeuvres sur lesquelles je me suis arrêtée proviennent de la Collection agnès b.

La première photographie est un tirage de Ryan McGinley, Whirlrwind, 2004. Il introduit avec poésie l'exposition qui nous emporte dans le tourbillon de la vie.

Certains thèmes choisis par la créatrice peuvent surprendre mais c'est classiquement qu'on commencera par l'amour, forcément est incontournable. Les sentiments sont déclinés en noir et blanc comme une tendre évidence scénarisée par Man Ray. Ils se livrent dans un moment d’abandon saisi par Henri Cartier-Bresson. Il se révèle dans l’entrelacs des mains photographiées par Weegee, plus coutumier des scènes de crimes des rues de New York que des duos amoureux.

Aux côtés des grands maîtres du noir et blanc du 20e siècle, figurent - dans une collection toujours curieuse de talents émergents - les regards de jeunes artistes qui témoignent d’amours naissantes : un baiser évanescent de Vincent Michéa, Baiser VI n°221, acrylique sur toile, 2011

Ils explosent de couleur avec le Pre-Kiss (2010. Digital C-Print monté sur aluminium) de la jeune Olivia Bee, artiste repérée via son blog, sans prétention autre qu’émotionnelle, et dont le travail a été exposé en 2014 dans la galerie d’agnès b. de NewYork. La dimension monumentale du tirage participe à l'émotion.
 

Au chapitre de la danse, cette photographie de Malick Sidibé, Nuit de Noël 1965, illustre encore selon moi l'amour. Elle figurait d'ailleurs dans le parcours de Love Stories au Quadrilatère de Beauvais  (60) aux dernières Photaumnales.
Le photographe a reçu en 2007 le Lion d’or pour sa carrière, lors la 52ème Biennale de Venise. Sur ce cliché immense les danseurs évoluent dans une bulle de complicité que l'on a envie de pénétrer. Rarement une image fixe aura induit autant de mouvement et de légèreté.

"Dansez !" est une joyeuse injonction en néon multicolore de Claude Lévêque, artiste exposé par agnès b dès 1997 tandis que la danse que pratiqua Agnès adolescente est évoquée par une paire de chaussons roses.

La question de l'identité était un autre incontournable puisqu'elle est au cœur de la raison d’être du Musée national de l’histoire de l’immigration, qui présente deux oeuvres tirées de ses collections.   J'ai retenu les Hittistes (littéralement "qui tiennent les murs") dont il émerge une impression de dépouillement et de grande solitude. Djamel Tatah peint inlassablement les mêmes personnages. Celle-ci (Sans titre, Djamel Tatah, 2008 © Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration) peut se lire comme l’allégorie d’une certaine jeunesse d’aujourd’hui, que l’on retrouve de part et d’autre de la Méditerranée, dans les rues de France ou d’Alger. L'artiste assume son geste :
"Je fais toujours le même tableau. J’explore toujours le même sentiment, le même rapport au monde, avec une insatisfaction perpétuelle qui me pousse à continuer. La répétition est inhérente à mon travail. (...) Pourquoi ce personnage est-il répété plusieurs fois ? C’est pour accentuer l’idée. Comme dans la musique répétitive, cela devient progressivement lancinant. Mais c’est une fausse répétition. Tout se passe dans les nuances".

En progressant vers le fond de la salle on remarque une œuvre phare : Deux clans, deux familles d’Annette Messager, qui fut réalisée et présentée en 1998 dans ces mêmes espaces par le Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie dont les collections ont rejoint depuis le Musée du quai Branly tandis qu'agnès b faisait l'acquisition de l'installation d'Annette Messager.
Sur le mur perpendiculaire est accroché l’Autoportrait (1983), crayon gras sur papier, de Jean-Michel Basquiat, artiste dont le travail découvert par agnès en 1985 à la Biennale de Paris, et qu’elle a rencontré en 1988, quelques mois avant sa mort.
Je remarque aussi cette petite photographie qui me rappelle le souvenir d'une exposition sur le thème de l'identité à l'Institut culturel Vuitton (dont la fermeture est regrettable). Ma tête de 18 ans sur mon corps de 67 ans, 1967, de Pierre Molinier (1900-1976).


La collection d’agnès b. abonde d'oeuvres liées à l'écriture, sous toutes ses formes et avec tous les outils scripteurs imaginables, y compris le néon. Le tableau de Denis O. Callwood, Jasmine (from the Gang Series), 1993-2007. C-Print, lance le débat.
Les Longs poèmes courts à terminer chez soi, écrits sur papier kraft, de Robert Filliou sont à la fois poétiques et humoristiques, comme pourrait l'être cette Machine à écrire (1986) en carton de Katsuhiko Hibinonée au Japon en 1958, si elle ne préfigurait pas la disparition de la beauté du texte manuscrit.
Un (petit) pas à faire et nous entrons dans le chapitre Guerre et révolte. Avec une écriture particulière (précisément au néon) Who started the war ? interroge Damir Radovic. Agnès b a soutenu plusieurs artistes originaires de Bosnie-Herzégovine qu’elle exposa à la Galerie du jour.
On pourrait de la même manière nous demander qui manipule qui en regardant ce tableau de Banger, Sans titre (Soldat/ pantin sur fond bleu ciel), 1991, technique mixte sur toile.

La révolte emprunte des voies diverses. Elle survient comme dans la vidéo radicale de Regina José Galindo, qui met en scène sa marche téméraire contre la candidature d’un dictateur au Guatemala en 2003. On la voit avancer devant les militaires, portant une cuvette de sang, qu'elle pose régulièrement par terre pour y tremper un pied et poursuivre son avancée en laissant une trace rouge.
Elle devient généreuse avec l’Abbé Pierre (1912-2007) et ses simples mots, Et les autres ?, encre sur papier, dont agnès b soutient la Fondation.

On ne pourrait la manquer. L'immense installation Medicaments City, ville bienveillante où tous les habitants auraient droit aux soins, façonnée par Bodys Isek Kingelez en 2003 occupe une place de choix au fond, devant une verrière qui donne sur Paris. Agnès b suit cet artisan de cités utopiques en matériaux de récupération, depuis l’exposition Magiciens de la Terre, en 1989.
 
Dans l’esprit de cette maquette monumentale, les œuvres sélectionnées privilégient la simplicité des matériaux comme le Temple en bambous et tissus récupérés dans les poubelles de Pékin en 2013 par Claire Tabouret ou les douze planches en bois brut de la Palissade blanche de Raymond Hains, 1976.
A ce stade on est obligé de revenir sur nos pas, regarder les oeuvres sous un autre angle, en remarquer d'autres. Comme ce croquis de la main d'Andy Warhol (1928-1987) Boys in the zoo, 1954 qui fait penser au trait de crayon de Cocteau.
Une fois revenu au commencement on peut regarder plus longuement deux tapisseries qui donnent à voir d’autres visions du monde.
Celle d'Alighiero Boetti (1940-1994) Mappa del Mondo, 1984. Tapisserie sur toile, célèbre pour ses planisphères brodés par des tisserands originaires d’Afghanistan ou du Pakistan et un tapis Bukhara - œuvre issue de la collection d’art contemporain du musée - métaphore d’une patiente reconstruction d’identité d'une artiste d’origine palestinienne dont l’œuvre traite de l’exil, Mona Hatoum, Bukhara (red and white), 2008, tapis en laine, 143 x 225 cm.
Mona Hatoum est née à Beyrouth. En 1975, alors qu’elle est en visite à Londres, elle se voit dans l’impossibilité de rejoindre son Liban natal et ses proches : la guerre civile vient d’éclater. Dès lors, elle choisit de questionner son statut de femme et d’exilée à travers une œuvre poétique et exigeante où se mêlent menace de la guerre, expérience de l’exil, questionnement identitaire, dépaysement et arrachement. Au milieu des années 1980, l’artiste se fait connaître sur la scène internationale avec ses performances et ses vidéos qui laissent poindre la violence du monde contemporain.

Elle investit ensuite les domaines de l’installation et de la sculpture. Elle s’empare d’objets familiers, domestiques et intimes, qu’elle ne cesse de métamorphoser. Ainsi, avec Bukhara, elle inscrit en creux un planisphère sur un tapis persan aux dessins géométriques, faisant référence à l'exil de ses parents, contraint en 1948, sous la pression israélienne, de quitter leur maison de Haïfa et de s’exiler au Liban, et devant abandonner une grande partie de leur importante collection de tapis.
A travers les œuvres accumulées, agnès b exprime son rapport au monde et laisse (un peu) transparaitre qui elle est, sans rien occulter, y compris la mort.





VIVRE !! La collection agnès b. au Musée national de l’histoire de l’immigration
Du 18 Octobre 2016 au dimanche 8 Janvier 2017
Du mardi au vendredi de 10h à 17h30. Samedi et dimanche de 10h à 19h.
L'entrée est gratuite pour les moins de 26 ans et pour tous le premier dimanche de chaque mois.
Musée de l’histoire de l’immigration - Palais de la Porte Dorée
293, avenue Daumesnil, 75012 Paris

Avec des oeuvres de Pierre Ardouvin, Eugène Atget, Roger Ballen, Banger, Jean-Michel Basquiat, Olivia Bee, Alighiero Boetti, Anastasia Bolchakova, Emmanuel Bovet, Brassaï, Henri Cartier-Bresson, Andre de Dienes, Claudine Doury, Robert Filliou, Nat Finkelstein, Martine Franck, Regina José Galindo, Gilbert & George, John Giorno, Nan Goldin, Emmet Gowin, Raymond Hains, Lucien Hervé, Rodolf Hervé, Katsuhiko Hibino, Bodys Isek Kingelez, Claude Lévêque, Helen Levitt, El Lissitzky, Ryan McGinley, Annette Messager, Duane Michals, Vincent Michéa, Radenko Milak, Pierre Molinier, Dennis O.Callwood, Antionette Ohannessian, Abbé Pierre, Damir Radovic, Man Ray, Clare Richardson, Willy Ronis, Paul Seawright, Malick Sidibé, Ernest T., Claire Tabouret, Rirkrit Tiravanija, Alan Vega, Andy Warhol, Gillian Wearing, Weegee, Christian Xatrec, et quelques autres des collections d'art contemporain du musée, Kader Attia, Mona Hatoum, Chéri Samba, Roman Cieslewicz, et Djamel Tatah.

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