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samedi 6 février 2016

Le Marais en héritage(s) au Musée Carnavalet

Le musée Carnavalet est le grand musée de l’histoire de Paris. Ouvert en 1880, c’est le plus ancien. Sa collection, très éclectique, compte 600 000 œuvres depuis le Paléolithique (des molaires de mammouth de région parisienne) jusqu’à des photographies prises dans les années 2010.

Autrefois il s’agissait avant tout de récupérer des matériaux au moment des destructions haussmaniennes. Mais puisqu’il est à la fois un musée des Beaux-Arts et un musée historique il a pu bénéficier de différentes méthodes d’acquisition. Il en résulte une certaine difficulté à y effectuer un parcours chronologique.

Il y a néanmoins une certaine urgence à le visiter puisque les salles consacrées à la Révolution française, au XIX° et au XX° siècles seront fermées à partir du 1er avril et que tout le reste le sera à compter du 1er octobre. Le musée entrera dans une période de travaux qui durera vraisemblablement quatre ans.
La cour dite de Louis XIV restera visible, ainsi qu’une salle de préfiguration du musée restauré. Et surtout on développera des visites du quartier, également des catacombes et de la crypte du Parvis de Notre-Dame qui lui sont rattachées.
La rénovation de la Cour d’honneur du musée Carnavalet, dite cour Louis XIV est un exemple des processus de sauvegarde du patrimoine architectural du Marais. Elle est l’aboutissement d’un an et demi de travaux impliquant de nombreux corps de métier et combinant la restauration de l’existant et le remplacement à l’identique : nettoyage des sculptures et ravalement des murs de façades ; réparation ou remplacement des éléments endommagés de couverture et de canalisation des eaux pluviales ; réfection de la peinture des menuiseries extérieures (le choix du gris clair a été fait en fonction des coloris observés dans le quartier) ; remise en état des garde-corps ; restauration des vitraux ; remise à niveau du pavement de la cour. Cette restauration rend son éclat d’origine et redonne aux bas-reliefs toute leur lisibilité.

Le musée est célèbre pour ses Period Rooms, dont la chambre de Marcel Proust et pour la Salle des enseignes qui recèle de véritables trésors.
Ce vantail gauche de la porte de l'ancien Hôtel de ville 1653, ornée de reliefs en bronze doré dus au sculpteur Henri Perlau (1597-1656),
L'enseigne de taillandier-quincaillier, métier traditionnel consistant à fabriquer des outils tranchants, tels que ciseaux et cisailles, du XVIII° siècle est constituée d'un arbre en bois peint, au feuillage épanoui, qui s'élève sur une base de maçonnerie (réalisée en pavés de bois) simulant une margelle de puits. L'oeuvre, qui a changé d'emplacement, se trouvait en dernier lieu 20 rue du Temple (Dherbecourt, marchand d'outils).
Ou encore l'enseigne du mythique cabaret du Chat noir, fondé par Rodolphe Salis en 1881 au pied de la butte Montmartre, et qui fut le bastion des artistes et le symbole de la vie de bohème à la fin du XIXe siècle. Dessinée par Willette, accrochée successivement aux deux adresses de l'établissement, 84 boulevard de Rochechouart puis 12 rue Victor Massé, jusqu'à la fermeture en 1897.
De nombreuses boiseries présentées dans les salles du musée proviennent d’hôtels parisiens détruits à la fin du XIXe siècle.


Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les boiseries, les lambris de menuiserie qui isolent du froid et du bruit, deviennent le décor obligé de toute demeure raffinée. Dessinés par des architectes ou des ornemanistes, ils sont réalisés par une communauté d’artisans parisiens.
Au XVIIIe siècle, la mode des couleurs vives et fraîches s’impose pour les appartements privés : jaune citron ou safran, vert, turquoise, lilas... La luminosité des coloris est obtenue par une peinture à la détrempe qui donne un résultat brillant comme la porcelaine. Préparée à l’eau, la peinture est appliquée sur sept couches de colle passée à chaud. On la protège ensuite par un vernis mat, mais l’ensemble est fragile. Sculptures et ornements sont le plus souvent rechampis (peints d’une autre couleur, souvent du blanc), voire dorés.
On apprend qu’à la fin du XIX° on détruisait des hôtels particuliers tout en conservant certains éléments de décors. Il faut attendre 1962 pour qu’une loi conçoive la préservation d’un quartier dans son ensemble. Le Marais en héritage est à ce titre une exposition à voir pour comprendre l’évolution du quartier. C’est la première à être programmée par la nouvelle directrice, Valérie Guillaume.
C’est à André Malraux qu’on doit cette préservation. Et il est intéressant de l’écouter parler et interroger de sa voix si particulière : peut-on réactualiser le passé ? On le voit ci-dessus photographié par Jean Mounicq, dans son bureau de la rue de Valois en 1967. C'est un portrait inhabituel puisqu’il cache le visage de son sujet.

Après être devenu célèbre dans les années 1920 et 1930 comme romancier, aventurier et militant antifasciste, son engagement dans la Résistance à la fin de la Seconde guerre mondiale le conduit ensuite à devenir ministre de l’information sous la présidence du général De Gaulle, qui le nommera ensuite au ministère de la culture de 1958 à 1968.

Pierre Sudreau (1919 – 2012), ministre de la Construction oeuvrera à la loi de 1962. Ensemble, ils engagent le ravalement des monuments parisiens, que Malraux évoque en ces termes : "Paris noir était une ville triste. C’est la saleté qui l’avait rendue triste. Le noir supprimait les ombres, donc le décor".

André Malraux invite à considérer la sauvegarde comme une ressource imaginaire féconde : "Dans notre civilisation, l’avenir ne s’oppose pas au passé, il le ressuscite". En 1965, les architectes en chef des monuments historiques sont chargés d’établir le premier Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur. Les délimitations du secteur privilégient le Marais aristocratique du XVIIe et du XVIIIe siècles. Le plan et ses limites sont longuement débattus. Les premières opérations de réhabilitation commencent en 1970.
Des éléments remarquables comme des vantaux, lambris et portes, solives, balustres ... le tout foraent une "matériauthèque" qui articule l'archéologie et l'histoire. Exposer des fragments et des objets restitués participe d'un récit sensible du Marais, comme ces morceaux, endroit et envers d'un parquet de chêne, motif Versailles provenant de Hotel Amelot.
Des nuanciers ont été conçus pour guider les travaux de restauration. Quelques exemples sont présentés au public.
On trouve rassemblés dans quelques salles l’histoire de cette préservation, qui ne signifie pas restauration systématique.
Ainsi à l’angle de la rue de Turenne et de la rue Saint-Antoine (4e), les architectes Chartier-Corbasson ont rénové un immeuble du XVII° siècle en l'agrandissant sur une très étroite parcelle d’angle accolée pour créer 11 logements sociaux. La façade métallique, évolutive et mobile, crée une profondeur. Elle dynamise la relation entre l’espace privé et l’espace public en créant des balcons pour les appartements à la place de l’ancienne façade aveugle et dégradée sur la rue de Turenne.

Elle montre que l’intervention architecturale dans un secteur sauvegardé ne se réduit pas nécessairement à la préservation à tout prix de l’existant, voire au pastiche, mais que l’insertion de l’esthétique contemporaine est toujours possible. Elle illustre les transformations du quartier depuis 50 ans : le Marais continue d’évoluer.
Dans ce contexte de multiples récits et fictions sont offertes à l'oreille du visiteur invité à manipuler des bornes interactives pour entendre des interactions croisées entre passé et présent, réel et imaginaire. Et il est amusant d'entendre évoquer par exemple l'immigration chinoise quasi exclusive de marchands de perles.
Vitraux de l'église Saint Gervais Saint Protais
Le Paris très populaire des années 70-80 est lui aussi à l'honneur et l'exposition se termine avec des aquarelles des dessinateurs urbains, qui s’appellent les Urban Sketchers effectuées au cours d'un marathon artistique en 2015. on retrouve par exemple l'immeuble du 2 rue de Turenne vue par Annick Botrel. Ou encore l'hôtel de ville par Marion Rivolier.
Le but est de donner envie d’aller arpenter le quartier, ce à quoi je me suis employée en sortant, surprise de constater que le fameux restaurant Goldenberg, si tristement célèbre pour l'attentat dit "de la rie des Rosiers" est devenu une boutique de vêtements, comme d'ailleurs le non moins mythique Hammam Saint-Paul.
Subsistent encore les délicatessen de spécialités d'Europe de l'Est. J'en ai compté plus de cinq dans cette rue à se disputer les faveurs d'une clientèle qui mange souvent en marchant, ou adossée à un mur.

La forme est partout la identique. Le falafel est servi dans une pita, accompagné d'une sauce et de quelques légumes. Voici celui de Marianne, véritable institution dans le quartier, et qui n'a de chalet que la façade.

Le Marais en héritage(s), au Musée Carnavalet
Jusqu'au 28 février 2016
16 rue Francs-Bourgeois - 75003 Paris
Tél. : 01 44 59 58 58 ; Fax : 01 44 59 58 10
Ouvert du mardi au dimanche, de 10 h à 18 h, sauf certains jours fériés.

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