Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 29 février 2016

De la caricature à l'affiche au Musée des Arts décoratifs


Vous avez jusqu'au 12 juin pour voir les expositions consacrées aux papiers peints, et aux tissus de Pierre Frey au Musée des art décoratifs. Vous aurez tout l'été pour vous immerger dans l'évolution de la caricature à l'affiche, de 1850 à la Grande Guerre, et un peu au-delà puisqu'on remarque à la fin quelques couvertures de Charlie-Hebdo.

J'ai eu le privilège de la visiter presque en avant-première au cours d'une soirée Vivez Lézard ! Elles sont destinées et réservées aux 18-25 ans et sont l’occasion de découvrir une exposition temporaire, un jeudi en nocturne en compagnie des conférenciers des Arts Décoratifs. Chacun profite chaque fois de l’entrée et de visites découvertes gratuites. (voir les prochaines en fin d'article).

Et si j'ai choisi comme première illustration cette lithographie en couleur de Sem (Serge Goursat, dit) intitulée La revue des Folies Bergère, Footit, 1910-1914, c'est parce que la ressemblance est frappante, et pour cause puisque c'est lui, avec le clown du film Chocolat qui est en ce moment sur les écrans.


On peut voir dans la première salle une scène des Métamorphoses du jour, qui ont rendus célèbre Grandville (Jean Ignace Isidore Gérand, dit), 1854, gravure sur bois coloriée au pochoir. Le talent de caricaturiste de cet artiste né à Nancy en 1803 a éclaté avec cette série de 70 scènes dans lesquelles des personnages humains sont représentés en créatures hybrides, mi-hommes mi-animaux, qui deviendront dès 1820 la marque de son talent.
L'affiche est obtenue à partir d'une gravure sur bois, rehaussée de couleurs appliquées au pochoir. On peut voir aussi les "petites" affiches qu'utilisaient les librairies pour promouvoir des journaux, avec alors peu de couleurs, tirées à une centaine d'exemplaires. André Gill, pseudonyme de Louis-Alexandre Gosset de Guines, publie entre autres dans La Lune (1866), avant de fonder la revue La Lune Rousse (1876) sur laquelle il communique en parvenant admirablement à déjouer le phénomène de la censure.
Également chansonnier à Montmartre, il fréquente le Cabaret des Assassins, qui deviendra célèbre sous le nom Lapin Agile, dont il peint en 1875 en guise d'enseigne un lapin bondissant d'une casserole en cuivre.

Un des caricaturistes de La Lune fut Nadar bien avant qu'il ne devienne photographe vers 1860.

Tout au long du XIXe siècle, suivant les régimes politiques, les caricaturistes affrontent, et déjouent la censure. Aussi lorsque les lois sur la libéralisation de la presse et de l’affichage sont votées en 1881 dans un contexte marqué par les nombreux scandales de la IIIe République, l’affaire Dreyfus, l’anticléricalisme avec la rupture en 1905 du Concordat de 1801, l'affaire Boulanger (Minsitre de la Guerre), l’anticapitalisme, la montée des opinions…
Avec cette lithographie en couleur de 1902, intitulée la Lanterne, Eugène Ogé montre le clergé comme une chauve-souris enserrant le Sacré-Coeur, lequel fut construit grâce à une souscription pour racheter les crimes des Communards.

Le début du siècle voit s’éteindre ou se retirer de la scène, Toulouse Lautrec, Chéret, Mucha. L’absence de leurs images crée alors un sentiment de vide d’autant plus fort qu’elles étaient omniprésentes sur les murs de la ville. Mais l’art de l’affiche n'est pas pour autant moribond. Les caricaturistes sont très actifs, et certains deviendront des affichistes, après avoir quitté le dessin politique pour la publicité de produits manufacturés. Jusque là ils ont en commun de charger le portrait, avec un petit corps et une grosse tête.

Les annonceurs d’alors repèrent leur trait acerbe, leur maitrise du raccourci, leur art de l’ellipse, qui rejoignent les premières théories publicitaires. Ces dessinateurs prennent le relais et renouvellent le genre en profondeur. Parmi eux Henri Jossot, Sem, Adrien Barrère, Guillaume, Gus Bofa, Roubille, ou Léonetto Cappiello

Lorsqu’ils sont affichistes, les caricaturistes ne font pas de caricatures. Ils en utilisent les ressorts techniques : la composition de l’affiche doit claquer comme la Une, avec peu de couleurs, allant à l’économie de moyens pour une plus grande efficacité. À cette époque l’affichage urbain devient un enjeu stratégique. Le réseau s’étend au quai des métros et des gares. L’affiche s’agrandit parce qu'on doit la voir de plus en plus loin. Il faut qu'elle accroche le regard en quelques secondes.

Cappiello (1875-1942), va renouveler l'art de l'affiche à son arrivée de son Italie natale. Il s’intéresse surtout au monde de l’art et du spectacle, croquant acteurs, écrivains, musiciens, actrices et femmes du monde. Il débute en publiant dans Le Rire en 1889, puis dans Le Sourire, Le Théâtre, Le Cri de Paris ou L’Assiette au Beurre. Il adapte au grand format les silhouettes dont il avait croqué les courbes et les attitudes.
Dans ses affiches Cappiello recherche avant tout le mouvement à travers la ligne et les contrastes colorés. Ses formes, comme des tâches de couleurs, se détachent sur un fond sans décor, sans perspective pour un impact visuel fort, en dissonance avec leur environnement. C'est très visible sur l'affiche pour Cachou Lajaunie, 1900, lithographie en couleur.
Celle qui le lança fut créée pour le chocolat Klaus, exemplaire par son mouvement diagonale. Souvent sur fond noir, l'affiche se remarque. Sa taille augmente. Le musée a du même en exposer quelques-unes inclinées (comme Fleur des Neiges, Biscuits Pernot, 1905, lithographie en couleur, dont j'ai photographié un détail) faute d'une hauteur sous plafond suffisante.

Celle qu'il a conçue pour Remington, vers 1910, lithographie en couleur, 200 cm x 130 cm est encore d'une vivacité remarquable.
L’auteur de caricatures est un sociologue avant la lettre. Il a l’habitude de pointer les sujets sensibles de la société, de la politique, de la religion, suscite l’adhésion ou le rejet, entretient la polémique. En témoigne le succès des illustrations ou des albums non publicitaires d’Adrien Barrère, (1874-1931) par exemple, dont la série de six planches de caricatures représentant les professeurs de la faculté de médecine de Paris et de l'école de droit ont été tirées à à 420 000 exemplaires. Il connaissait parfaitement ce milieu pour avoir engagé des études de droit et de médecine, qu'il ne termina pas.
On lui doit Tout Paris à la revue des Folies-Bergère, 1905, une immense lithographie en couleur où l'on reconnait Caroline Otero en robe verte et manteau orange, des affiches pour le Théâtre du Grand Guignol, pour les cafés-concerts et pour les cinémas Pathé entre 1909 (ou 4) et 1914.
Après avoir participé aux revues de guerre, il exécute quelques affiches anti-communistes à l'occasion des élections dont celle, restée célèbre, du bolchevik au couteau entre les dents.
Sem (Serge Goursat, dit) était craint du Tout-Paris. Voici le clown Chocolat (à droite) et Footit (à droite) pour La revue des Folies-Bergère, 1910-1914,
Comme Cappiello, Marius Roussillon, devenu O’Galop, a forgé son trait en publiant de nombreux dessins satiriques dans Le Chat Noir, le Rire, le Pêle-Mêle et beaucoup d’autres titres. Sa rencontre avec les frères Michelin va sceller son destin d’affichiste à celle du bibendum en 1905. Il invente le personnage et ne cesse de le décliner avec le slogan il faut boire l'obstacle.

L'exposition place en vis-à-vis des affiches dont l'une (au-dessous) a été refusée par la censure au motif que la mariée est nue et la version autorisée par la censure (au-dessus) où la mariée porte une robe. Toutes deux ont été dessinées par Jules-Alexandre Grün, pour Scala. Enfin seuls ! 1901. La seconde est plus petite parce que l'argent manquait après la destruction des premières affiches.

On poursuit avec "la guerre des crayons" : les affiches de la guerre de 1914-1918, instruments de propagande destinée aux civils et d’appel à la solidarité, concourent massivement à la mobilisation des ressources humaines et financières.
On remarque ainsi une collaboration de Francisque Poulbot, pour l'Emprunt National 1920, Banque de Paris et des Pays-Bas. Comme quoi il n'a pas dessiné que des enfants charmants dont les reproductions inondent encore aujourd'hui les trottoirs de Montmartre.

Enfin, dans le couloir sont présentées des invitations très humoristiques à acheter le Canard Enchainé et quelques unes de Charlie Hebdo.

Un catalogue riche de reproductions de près de 60 dessinateurs de presse et affichistes est proposé en complément.

De la caricature à l'affiche
Du 18 février au 4 septembre 2016
Les Arts Décoratifs
107 rue de Rivoli, 75001 Paris
01 44 55 57 50
Ouvert du mardi au dimanche de 11h à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21 h pour les expositions temporaires

Prochaines soirées Vivez Lézard ! pour les 18-25 ANS autour de l'exposition Barbie, Jeudi 17 mars 2016 de 18h 30 à 20h 30 et sur le thème Motifs et fragrances (en partenariat avec la Maison Givaudan) autour de Faire le mur et Tissus inspirés le jeudi 7 avril 2016.
Inscription recommandée : adac@lesartsdecoratifs.fr

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)