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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 7 février 2016

Mémoires d'un arythmique de Guillaume Durand

Un arythmique est quelqu’un dont les battements de cœur ne sont pas réguliers. C’est une maladie grave que Guillaume Durand découvre un "mauvais" jour et qu’il associe plus ou moins à l’agression dont son père fut victime sous ses yeux, traumatisme réactivé par la perte de son propre enfant.

Le terme s’emploie aussi pour qualifier un système de transmissions qui n’enverrait pas les données de manière synchronisée. Si bien que ses Mémoires d’un arythmique portent un titre parfaitement adéquat. L’auteur plaide coupable, se vantant de passer du coq à l’âne (p. 86), offrant au lecteur le choix d’estimer son récit décousu ou foisonnant. Il y a fort à parier que son livre sera discriminant : on aimera ou on détestera.

Personne ne dira en tout cas le contraire : il est provocateur, d’emblée, dès les citations choisies pour lancer le récit, et sans remords, jamais.

Capable tour à tour d’encenser comme de dézinguer avec des mots très durs les personnalités qui n’ont pas l’heur de lui plaire, n’hésitant pas à traiter Jacques Lacan d’escroc (p.33), Marie Antoinette de crotte déguisée en petit four, et Michael Moore une nullité, n'en déplaise au jury de Cannes qui lui accorda la Palme d'or. Ses admirations sont aussi larges que ses haines, bien au-delà des questions de droite ou de gauche. Il adorait Louis Aragon comme Françoise Sagan, François Mitterand et … Dominique de Villepin.

Il apprécie guère David Bowie et je serais curieuse de ce qu'il a pu dire au moment de sa mort. Guillaume Durand ne va pas se faire des amis avec ses mémoires. Je suis pas contre la vérité et la sincérité. Je l'ai prouvé. Mais je comprends mal l'intérêt de vitrioler tous azimuts comme un tonton flingueur à plus de soixante ans quand on a su faire preuve de diplomatie face à François Mitterand. La clé se trouve peut-être page 174 : j'adore ce que je déteste.

L’éditeur aurait pu ajouter un index à la fin pour faciliter la recherche des citations. Le nombre de personnes que cet homme de radio et de télévision connait dans le monde politique, artistique et culturel est impressionnant, quoique compréhensible pour un journaliste. Il est ami de Philippe Tesson dont il fait une description plus vraie que nature et que je reconnaîtrais même s'il en taisait le nom.

Ce qui est différent avec Guillaume Durand c’est que ses confidences servent à étayer une analyse sans concession de ce qu’on a appelé le microcosme. Il a des arguments, se place en censeur, et le pire est qu’il a sans doute raison. Pourquoi se borner effectivement des émissions politiques autour d'une table et trois chaises ? (p. 163) Pourquoi aussi vouloir à toutes fins la culture pour tous ? (p. 190). Il n'est pas nécessaire de s'insurger à ce point. Il suffit d'ajouter la mention "pour tous ceux qui la désirent" pour que cette volonté ministérielle devienne légitime.

Levé aux aurores pour assurer la matinale de Radio Classique, il est contraint de se coucher tôt ce qui le limite le nombre de ses dîners en ville à un par semaine. Combien aurait-il eu d’anecdotes croustillantes avec une fréquence supérieure ? On a parfois du mal à suivre parce qu'on ne connait pas toutes les personnes dont il est question.

Il mène ce qu’il qualifie lui-même de vie "déboussolée". Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas un modèle hygiénique. Il faut avoir, ne lui en déplaise, le cœur solide pour résister. L’exercice du tennis n’arrangea rien à l’affaire même s’il y renonça, pas davantage que la "légère" mégalomanie qu’il reconnait (p. 74).

Il lui arrive des choses extraordinaires suivant une sorte de théorie de la relativité toute personnelle. Il rate en effet la chute du mur de Berlin, n'étant pas au bon endroit ce jour là (p. 153). Inversement il est à New York quand s'abat l'ouragan Irène qui s'avèrera ne pas être si terrible que prévu. Par contre le vol en piqué d'un aigle au dessus de Central Park a failli le terrasser de peur et Guillaume Durand sait pratiquer l'auto dérision. Justifiant sa passion pour le rock, il se proclamera Rock & Folk plutôt que Charlie.

S’il raconte dans le détail une somme immense de rencontres et de confidences (285 pages, ce n’est pas mince), il fustige la mélancolie du passé, et abhorre l'absence de créativité, qu’il met au même niveau que la connerie. C’est le folklore des gens ordinaires, lâche-t-il p. 36. Il exprime son opinion à tout propos et croyez-moi, il a un avis (souvent éclairé) sur beaucoup de choses, parfois sur plusieurs pages, parfois en quelques mots, par exemple cette "petite" allusion à la référence perpétuelle de la République comme une religion laïque.

Il est probable que les lecteurs seront heureux de constater le courage avec lequel il s’exprime car sa plume n’est pas de bois. Il sait malgré tout l’adoucir et prendre plaisir à écrire comme une notice d'office de tourisme. Il vante ainsi l'hôtel du Palais de Biarritz, construit par Napoléon III pour sa chère Eugénie, comme proposant le meilleur buffet du monde. (p. 52)

Je ne le contredirai pas sur le plan culinaire, je n’y ai jamais mangé. Par contre pour le reste je mettrai un bémol sur les amours impériales. C’est parce qu’Eugénie a été choquée de rencontrer la maitresse de son époux à Vichy qu’elle a souhaité prendre les eaux ailleurs. La bonne fortune d’une ville tient parfois à la faiblesse humaine.

Guillaume Durand ne peut pas être accusé de misogynie. Il afficherait plutôt une propension au féminisme, brossant un portrait dithyrambique de Carla Bruni Sarkosy et de Diane de Mac Mahon, son épouse : ces femmes sont le meilleur de nous-mêmes, des vignes vierges magnifiques qui tiennent le mur de notre dignité approximative. (p. 90)

Il est aussi capable de tendresse, le prouvant par exemple en citant le Bal perdu de Bourvil accompagné d'un photo (p. 184). Et d'exprimer aussi avec sincérité quelques moments sombre de sa vie. Tout au long de son livre arrivent en rafale des messages anonymes avec photos et sentences énigmatiques. Ce sont dans les dernières pages qu'il raconte une confrontation au Congo avec un certain Jean René, rival amoureux qui n'a rien oublié. La vengeance est un plat qui avalera glacé.

Il avait confessé (est ce le terme adéquat ?) avoir maquillé sa vie de mensonges (p. 278). Deux pages plus loin il prétend que les deux termes sont synonymes. Guillaume Durand achève curieusement son récit au passé composé après nous voir raconté un dernier rêve qui vire au cauchemar.

Il nous épargne la citation de Chateaubriand, reprise par de Gaulle, la vieillesse est un naufrage. Mais il cite avec amertume Elsa Triolet arrivant au temps des échéances.

Il nous laisse en compagnie de la musique d'un des groupes mythiques qu'il affectionne, Led Zeppelin. Ma vie a été plus belle grâce à eux : Stairway to Heaven.

Sa vie est loin d'être finie. Outre la matinale de Radio Classique il présente sur TV5 Monde, tous les samedis, une émission sur l’actualité culturelle francophone de 17 heures à 18 heures, "300 millions de critiques" qui offre un regard assez différent. Je vous invite à la suivre, en direct ou en Podcast. Il était question dans celle d'hier soir du phénomène des Booktubers, ces prescripteurs de livres qui présentent leurs coups de coeur sur leur chaine YouTube ... comme je l'ai fait moi-même.

Mémoires d'un arythmique de Guillaume Durand, Grasset, en librairie depuis le 12 novembre 2015
NB : les numéros des pages qui sont citées renvoie à la lecture d'un ouvrage au format numérique de 285 pages.

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