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mercredi 10 février 2016

L'Orangeraie de Larry Tremblay

L’Orangeraie est un livre qui dérange, je le sais. Pourtant je le défendrai sans restriction. Certains lecteurs m’ont dit le trouver insoutenable et avoir arrêté en cours de route. Ils se sont privés d’une fin qui apporte une réponse philosophique aux questions que soulève Larry Tremblay.

Certes le sujet est a priori difficile, faisant penser au Choix de Sophie. Des parents doivent choisir entre leurs deux fils jumeaux lequel mourra en martyr pour défendre des idées religieuses. L’un d’entre eux est atteint d’une grave maladie qui le condamne à court terme. Le sacrifice de cette vie est-il pour autant plus "humain" ? Et ne serait-ce pas une offense à leur Dieu que de lui offrir un enfant malade ? 

Le père et la mère ne partagent pas la même opinion. Quant aux enfants ils ont, malgré leur très jeune âge, un avis sur la question de savoir si les vies sont interchangeables.

En moins de deux cent pages, Larry Tremblay, qui est écrivain, metteur en scène, acteur, a réussi le tour de force de me captiver alors que je ne me serais pas spontanément tournée vers son roman qui résonne trop avec l'actualité des récents attentats. Il a très sagement situé l'action dans un pays qui n'est jamais nommé, à une époque qui n'est pas davantage précisée, donnant au propos une valeur universelle.

Il m’a embarquée dans cette orangeraie où je me suis promenée comme dans un paradis. J’ai adopté le point de vue de chacun des personnages. J’ai compris les ressorts de la manipulation fourbie par des manipulateurs comme Soulayed : Dieu vous a choisis, Dieu vous a bénis (p. 57). J’ai éprouvé de la compassion pour ceux qui se laissent embarquer dans cette guerre qui, pas davantage que les autres, n’a de sens légitime.

J’ai senti l’odeur des roses. Je comprends que leur parfum puisse être leur sang (p.70). J’ai gouté la chair des fruits. Je regarderai désormais la lune en y voyant certains soirs, comme le dit Tamara, la maman d’Aziz et d’Amed, une empreinte d’ongle dans la chair du ciel. (p. 29) Je pense néanmoins comme Dalimah, sa sœur, réfugiée en Amérique, que la guerre est inutile et qu’il n’y aurait que des perdants. (p. 18).

Tamara a pleinement conscience que dans son pays c’est la haine qui tient les os des hommes en place. (p. 31) Elle a raison de s’interroger : à quoi ça sert de mettre au monde des enfants si c’est pour les sacrifier comme de pauvres bêtes qu’on envoie à l’abattoir !  (p. 90) Elle se sent néanmoins impuissante à faire évoluer les choses. Jusqu'où ira-t-on si on veut venger un mort par un autre mort ? Celui qui ne veut pas mourir est-il un lâche ? La vérité est -elle supérieure au mensonge ?

Sans voler leur enfance aux garçons, Larry Tremblay met en scène leur vie avec le regard d’un tragédien grec. Son texte se déroule comme une mélopée envoutante. J'ai pensé à plusieurs reprises à  une autre histoire de jumeaux s'interrogeant sur leurs origines, Incendies, d’un autre auteur canadien. Amed entend des voix qui vont influencer son avenir. En devenant acteur pour donner une parole à chacune d’elles.

Sans déflorer la fin du livre je peux dire que l’auteur répond en quelque sorte à la seule question qui vaille la peine qu’on s’y arrête : a-t-on besoin d’avoir une raison ou d’avoir tout simplement raison pour faire ce que l’on croit devoir faire ?

Paru au Québec en 2013, L'orangeraie a remporté plusieurs prix dont le Prix des libraires du Québec. C'est un magnifique conte moral, ou une fable politique si vous préférez. Certes brutale, habitée, hantée, et au final vraiment superbe comme l'a écrit Sorj Chalandon.

L'Orangeraie de Larry Tremblay, Nouvelle édition
Collection Vermillon, La Table Ronde, en librairie depuis le 5 février 2015
Livre chroniqué dans le cadre du Prix 2016 des lecteurs d'Antony
En compétition dans la catégorie Romans français avec Après le silence de Didier Castino, Un amour impossible de Christine Angot, Quand le diable sortit de la salle de bain de Sophie Divry, L'orangeraie de Larry Tremblay, et Ce pays qui te ressemble de Tobie Nathan.

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