Avec plus de 475 pages (en petits caractères de surcroit), et son format 11x18 cm, Le Géant de Michel Lebrun, est un vrai pavé.
Il se lit pourtant facilement et j'ai été amusée de le découvrir alors que j'avais écrit plusieurs chroniques à propos des dernières orientations prises dans la grande distribution. Car le Géant est un hypermarché. Mais contrairement à Système U qui semble, comme Leclerc, plutôt respectueux des consommateurs, l'établissement imaginé par l'auteur est un lieu qui rend fou.
Y-a-t-il une vie possible au sein de la grande distribution ? Dans ce polar sociologique, Michel Lebrun dissèque la misère sentimentale et existentielle des petites villes que l'arrivée d'une grande surface transforme en poudrière. Une chronique cinglante des frustrations contemporaines. Montescourt est le directeur du Géant, un hypermarché titanesque implanté au coeur d'une commune de la banlieue parisienne. Il n'a pas de vie de famille, peu de plaisirs, et une unique obsession : le Géant. Mais le jour où il tombe sous le charme d'une voleuse à l'étalage, il se rend compte que la population de la commune, frustrée par ce déballage de marchandises mirobolantes, est sur le point d'entrer en ébullition... et qu'il se pourrait bien qu'il la rejoigne !
Pour ceux qui l'ignoreraient, un hyper est (p. 40) une surface de vente de 2500 à 20 000 m², ce qui présente une large fourchette. Le parking est obligatoirement proportionnel avec une superficie cinq fois supérieure. La fiche signalétique du magasin imaginé par l'écrivain figure page 59 et bien entendu il est le plus grand possible. Un véritable mammouth. L'îlot de survie parfait (p. 98) avec ses 50 000 références.
Il faut aussi le situer dans l'époque où le livre a été écrit, à la fin des années 70, quand nous commencions à prendre l'habitude d'y faire nos courses. L'auteur l'écrit en toutes lettres (p. 172) l'hypermarché est devenu le symbole de la société de consommation, ce qui en fait un sujet très passionnant.
Aujourd'hui ce serait peut-être davantage un site de ventes en ligne ... alors que un siècle plus tôt c'était Au bonheur des dames, choisi comme cadre par Emile Zola, et dont en toute logique Michel Lebrun nous donne un extrait (p. 192).
De fait, le roman a donc aussi un intérêt sociologique même si les faits rapportés sont imaginaires. On se doute que l'auteur s'est inspiré de la réalité. Jusqu'au registre de réclamations (p. 221). Il décrit des techniques de vente qui nous parlent encore. Et se focalise sur plusieurs techniques de vol en fonction d'une typologie de voleurs (p. 172) qui semble n'avoir pas beaucoup évolué depuis. L'astuce dite du baril, (p. 73) amusante vue de loin, par contre ne doit plus être envisageable. Ce qui reste vrai c'est que la démarque inconnue, selon l'expression consacrée, reste une plaie pour un directeur de magasin et qu'elle ne soit pas du goût de tout le monde.
C'est que Michel Lebrun n'a pas été sans raison qualifié de "Pape du polar". Sa vie a été liée à celle de la littérature policière française dont il aura été l’ardent défenseur, critique et théoricien, jusqu'à sa mort en 1996.
De son vrai nom Michel Cade, il est étroitement lié à ce qu'on appelle le polar à la française. Les dizaines de romans qu'il a publiés ont reçu de multiples prix. Il est d'ailleurs associé à un prix à son nom, je devrais dire "ses" noms car il changea plusieurs fois de patronyme.
J'en rappelle l'historique pour les amateurs de romans policiers, qui sont très nombreux. J'ai appris le soir de la remise du Prix polar SNCF qu'un livre vendu sur deux est un polar. Le Prix du roman policier francophone de la ville du Mans a été créé en 1985 par François Plet, Christian Poslaniec et Pierre Lebedel. Il a couronné des écrivains de qualité. Le premier lauréat fut Jean-Michel Guenassia avec Pour 100 millions (Liana Levi). Il y eut aussi Daniel Pennac pour La Fée carabine (Gallimard), Tonino Benacquista pour Trois carrés rouges sur fond noir (Série noire) ou encore Fred Vargas avec Debout les morts (Viviane Hamy) en 1995.
Antonin Varenne, que j'ai eu la chance de chroniquer dans le cadre du Grand Prix des lectrices de ELLE, l'a obtenu pour Fakirs (Viviane Hamy) alors qu'il était devenu le Prix Michel-Lebrun de la Ville du Mans. En 2010 il devient Prix Polar Michel Lebrun. En 2016, c'est Colin Niel qui est récompensé pour Obia (Rouergue Noir), que j'ai chroniqué dans le cadre du Prix des lecteurs d'Antony (92) dont il a été également gagnant, en catégorie Polar.
Michel Lebrun est un scénariste hors pair, ayant imaginé une galerie de personnages hauts en couleurs, depuis le Picasso des parkings qui apparait dès le début. Ils gravitent tous autour de Montescourt, "pauvre" directeur de magasin qui ne vit que pour son travail. Des caricatures de notre société sont placées en orbitre autour de lui, combinant plusieurs intrigues, et donc plusieurs enquêtes.
Il fait converser tout ce beau monde avec un humour sous-jacent permanent, ce qui est rare dans le domaine du polar. On en oublie que c'en est un.
- Comment vont les affaires ?
- Ça marchotte doucement.
Dialogues de gens qui n'ont rien à se dire, ne se connaissant pas suffisamment pour casser du sucre sur le dos d'amis communs.
Ce n'est pas moi qui l'écrit mais lui (p. 107).
Il est question de vol, beaucoup, mais aussi de dégradations de toutes sortes, de contamination alimentaire, d'une accumulation de drames, grands et petits, et de crimes aussi. Le personnage principal ne parle pas mais avec son nom, le Géant, imprimé en italiques, portant la majuscule, devient un lieu qui provoque le doute (p. 340) et qui pourrait bien être le lieu de tous les dangers. Un monstre, vivant, puisqu'il respire (p. 316).
French pulp, comme son nom ne l'indique pas vraiment, s'explique dans des pages additionnelles sur le choix d'une expression anglaise pour promouvoir la littérature bien française de jeunes auteurs, ... comme la réédition d'auteurs cultes. Avec l'ambition qu'on lira tout cel partout, y compris (et surtout ?) dans le métro, même debout. c'est tout de même plus passionnant que pianoter un jeu de cartes sur un écran tactile, non ?
Le Géant de Michel Lebrun, réédité par French Pulp le 22 novembre 2016
Première édition chez Lattès en octobre 1979, réédité chez Payot-Rivages en 1996
Il se lit pourtant facilement et j'ai été amusée de le découvrir alors que j'avais écrit plusieurs chroniques à propos des dernières orientations prises dans la grande distribution. Car le Géant est un hypermarché. Mais contrairement à Système U qui semble, comme Leclerc, plutôt respectueux des consommateurs, l'établissement imaginé par l'auteur est un lieu qui rend fou.
Y-a-t-il une vie possible au sein de la grande distribution ? Dans ce polar sociologique, Michel Lebrun dissèque la misère sentimentale et existentielle des petites villes que l'arrivée d'une grande surface transforme en poudrière. Une chronique cinglante des frustrations contemporaines. Montescourt est le directeur du Géant, un hypermarché titanesque implanté au coeur d'une commune de la banlieue parisienne. Il n'a pas de vie de famille, peu de plaisirs, et une unique obsession : le Géant. Mais le jour où il tombe sous le charme d'une voleuse à l'étalage, il se rend compte que la population de la commune, frustrée par ce déballage de marchandises mirobolantes, est sur le point d'entrer en ébullition... et qu'il se pourrait bien qu'il la rejoigne !
Pour ceux qui l'ignoreraient, un hyper est (p. 40) une surface de vente de 2500 à 20 000 m², ce qui présente une large fourchette. Le parking est obligatoirement proportionnel avec une superficie cinq fois supérieure. La fiche signalétique du magasin imaginé par l'écrivain figure page 59 et bien entendu il est le plus grand possible. Un véritable mammouth. L'îlot de survie parfait (p. 98) avec ses 50 000 références.
Il faut aussi le situer dans l'époque où le livre a été écrit, à la fin des années 70, quand nous commencions à prendre l'habitude d'y faire nos courses. L'auteur l'écrit en toutes lettres (p. 172) l'hypermarché est devenu le symbole de la société de consommation, ce qui en fait un sujet très passionnant.
Aujourd'hui ce serait peut-être davantage un site de ventes en ligne ... alors que un siècle plus tôt c'était Au bonheur des dames, choisi comme cadre par Emile Zola, et dont en toute logique Michel Lebrun nous donne un extrait (p. 192).
De fait, le roman a donc aussi un intérêt sociologique même si les faits rapportés sont imaginaires. On se doute que l'auteur s'est inspiré de la réalité. Jusqu'au registre de réclamations (p. 221). Il décrit des techniques de vente qui nous parlent encore. Et se focalise sur plusieurs techniques de vol en fonction d'une typologie de voleurs (p. 172) qui semble n'avoir pas beaucoup évolué depuis. L'astuce dite du baril, (p. 73) amusante vue de loin, par contre ne doit plus être envisageable. Ce qui reste vrai c'est que la démarque inconnue, selon l'expression consacrée, reste une plaie pour un directeur de magasin et qu'elle ne soit pas du goût de tout le monde.
C'est que Michel Lebrun n'a pas été sans raison qualifié de "Pape du polar". Sa vie a été liée à celle de la littérature policière française dont il aura été l’ardent défenseur, critique et théoricien, jusqu'à sa mort en 1996.
De son vrai nom Michel Cade, il est étroitement lié à ce qu'on appelle le polar à la française. Les dizaines de romans qu'il a publiés ont reçu de multiples prix. Il est d'ailleurs associé à un prix à son nom, je devrais dire "ses" noms car il changea plusieurs fois de patronyme.
J'en rappelle l'historique pour les amateurs de romans policiers, qui sont très nombreux. J'ai appris le soir de la remise du Prix polar SNCF qu'un livre vendu sur deux est un polar. Le Prix du roman policier francophone de la ville du Mans a été créé en 1985 par François Plet, Christian Poslaniec et Pierre Lebedel. Il a couronné des écrivains de qualité. Le premier lauréat fut Jean-Michel Guenassia avec Pour 100 millions (Liana Levi). Il y eut aussi Daniel Pennac pour La Fée carabine (Gallimard), Tonino Benacquista pour Trois carrés rouges sur fond noir (Série noire) ou encore Fred Vargas avec Debout les morts (Viviane Hamy) en 1995.
Antonin Varenne, que j'ai eu la chance de chroniquer dans le cadre du Grand Prix des lectrices de ELLE, l'a obtenu pour Fakirs (Viviane Hamy) alors qu'il était devenu le Prix Michel-Lebrun de la Ville du Mans. En 2010 il devient Prix Polar Michel Lebrun. En 2016, c'est Colin Niel qui est récompensé pour Obia (Rouergue Noir), que j'ai chroniqué dans le cadre du Prix des lecteurs d'Antony (92) dont il a été également gagnant, en catégorie Polar.
Michel Lebrun est un scénariste hors pair, ayant imaginé une galerie de personnages hauts en couleurs, depuis le Picasso des parkings qui apparait dès le début. Ils gravitent tous autour de Montescourt, "pauvre" directeur de magasin qui ne vit que pour son travail. Des caricatures de notre société sont placées en orbitre autour de lui, combinant plusieurs intrigues, et donc plusieurs enquêtes.
Il fait converser tout ce beau monde avec un humour sous-jacent permanent, ce qui est rare dans le domaine du polar. On en oublie que c'en est un.
- Comment vont les affaires ?
- Ça marchotte doucement.
Dialogues de gens qui n'ont rien à se dire, ne se connaissant pas suffisamment pour casser du sucre sur le dos d'amis communs.
Ce n'est pas moi qui l'écrit mais lui (p. 107).
Il est question de vol, beaucoup, mais aussi de dégradations de toutes sortes, de contamination alimentaire, d'une accumulation de drames, grands et petits, et de crimes aussi. Le personnage principal ne parle pas mais avec son nom, le Géant, imprimé en italiques, portant la majuscule, devient un lieu qui provoque le doute (p. 340) et qui pourrait bien être le lieu de tous les dangers. Un monstre, vivant, puisqu'il respire (p. 316).
French pulp, comme son nom ne l'indique pas vraiment, s'explique dans des pages additionnelles sur le choix d'une expression anglaise pour promouvoir la littérature bien française de jeunes auteurs, ... comme la réédition d'auteurs cultes. Avec l'ambition qu'on lira tout cel partout, y compris (et surtout ?) dans le métro, même debout. c'est tout de même plus passionnant que pianoter un jeu de cartes sur un écran tactile, non ?
Le Géant de Michel Lebrun, réédité par French Pulp le 22 novembre 2016
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