Avec Amphytrion, Guy-Pierre Couleau poursuit dans l'univers onirique installé sur la scène du Théâtre du peuple de Bussang où nous avons vu cet été le Songe d'une nuit d'été. Je devrais écrire le contraire parce que la création de cette pièce est antérieure (octobre 2015 à la Comédie de l’Est à Colmar) mais je ne les ai pas vues dans l'ordre.
Il faut dire qu'il travaille avec la même équipe (notamment Laurent Schneegans aux lumières, Delphine Brouard à la scénographie) et qu'ils ont l'art de la suggestion avec un décor efficace tout en libérant le plateau.
Sitôt sa nuit de noces avec Alcmène consommée, Amphitryon, général thébain, quitte sa jeune épouse pour aller guerroyer. Le dieu Jupiter, amoureux de la belle mortelle, profite de l’occasion pour se glisser dans son lit sous les traits du mari. Son allié Mercure monte la garde, après avoir pris l’apparence de Sosie, valet d’Amphitryon. Mais celui-ci est de retour au palais, précédant son maître pour annoncer sa victoire... et tombe nez à nez avec cet "autre moi".
Dès lors, la pièce repose toute entière sur le motif du double et du miroir. Entre quiproquos, malentendus et rebondissements, Molière invente une fantaisie mythologique à grand spectacle, où les dieux descendus sur terre, rusés et manipulateurs, sèment la confusion et s’amusent aux dépens des humains, dupés de bout en bout et incapables de distinguer le vrai du faux.
Quand la pièce commence, le spectateur est dans une profonde obscurité, dans une ambiance de science fiction formidablement restituée, justifiant la phrase de Molière : les poètes vont à leur guise.
La Nuit (Jessica Vedel) a les traits d'une femme fatale, dans un corps très sensuel, en toute logique avec la thématique de la tromperie. Les dieux sont des divinités obscures venant perturber le cours de la vie des hommes et leurs apparitions s'effectuent comme par magie à la faveur d'un nuage de fumée, venant parfois des cintres (le ciel), parfois d'une trappe dissimulée dans le plancher (l'enfer). La scène est surélevée et pourvue d'escaliers dans la tradition du théâtre de tréteaux.
Il faut se laisser porter par les images, splendides, tout en écoutant avec attention le texte de Molière qui pourrait bien être toujours d'actualité. Guy-Pierre Couleau a raison de souligner combien nous devons être vigilants face aux tyrans qui gouvernent avec toute puissance, en se considérant comme égaux à des dieux.
Molière avait assimilé les leçons de Galilée (qui était son contemporain) : en prouvant que la terre n'est pas au centre du monde on questionne aussi la place de l'homme qui pourrait donc s'affranchir de la soit disant volonté divine (et des puissances politiques). Car la pièce le démontre, les dieux mentent et peuvent nous faire perdre notre identité. Regardons ce qu'il advient de Sosie, créé par Molière lui-même et que Luc-Antoine Diquero interprète avec toute la subtilité nécessaire. Il devient une marionnette, à deux doigts de la folie : me faut-il renoncer à moi-même ?
Si, depuis notre fauteuil nous voyons l'imposture qui concernera aussi Amphytrion (François Rabette), pauvre innocent époux qu'il faudra regarder en coupable, avons-nous la même clairvoyance dans la vraie vie ? Les masques parviennent-ils à tomber aussi rapidement qu'au théâtre ?
Le travail de Laurianne Scimemi participe à cette réflexion puisqu'elle a choisi d'habiller les humains en costumes qui nous sont contemporains alors que les dieux sont représentatifs du courant steampunk, d'où le sentiment que nous avons d'osciller entre réalité et science-fiction.
La bande-son est elle aussi juste parfaite, avec la voix rauque de Terez Montcalm reprenant Je n'attendais que toi (créée par Charles Aznavour et Mama Béa pour le film Édith et Marcel en 1983) :
Je n'attendais que toi / Moi rêvant d'absolu / De choses impossibles / Moi venant de la rue / Sortant de l'inconnu / Qui espérait mon roi / Ce héros invincible ...
Avec Klaus Nomi, et puis aussi cet air jazzy à souhait, enfin paisible, à la toute fin du spectacle, accompagnant des pas de danse : Dites-moi étoile, pourquoi je vous regarde? / Les étoiles les étoiles les étoiles / Dites-moi, étoile qui vous regardera ?… que Melody Gardot chantait déjà en 2009 sur l'album My One and Only Thrill.
Des rires peuvent fuser dans la salle par moment mais sur scène on comprend que les dédoublements perturbent la raison des personnages, nous offrant aussi une réflexion fine sur la question de l'identité.
Après John M. Singe, dont Guy-Piere Couleau avait monté La fontaine aux saints et Les noces du rétameur en 2010, puis l'année suivante Le baladin du monde occidental, il s'est attelé avec autant de bonheur au répertoire de Molière et de Shakespeare. Quel sera son prochain choix ?
Amphitryon de MolièreLa Nuit (Jessica Vedel) a les traits d'une femme fatale, dans un corps très sensuel, en toute logique avec la thématique de la tromperie. Les dieux sont des divinités obscures venant perturber le cours de la vie des hommes et leurs apparitions s'effectuent comme par magie à la faveur d'un nuage de fumée, venant parfois des cintres (le ciel), parfois d'une trappe dissimulée dans le plancher (l'enfer). La scène est surélevée et pourvue d'escaliers dans la tradition du théâtre de tréteaux.
Il faut se laisser porter par les images, splendides, tout en écoutant avec attention le texte de Molière qui pourrait bien être toujours d'actualité. Guy-Pierre Couleau a raison de souligner combien nous devons être vigilants face aux tyrans qui gouvernent avec toute puissance, en se considérant comme égaux à des dieux.
Molière avait assimilé les leçons de Galilée (qui était son contemporain) : en prouvant que la terre n'est pas au centre du monde on questionne aussi la place de l'homme qui pourrait donc s'affranchir de la soit disant volonté divine (et des puissances politiques). Car la pièce le démontre, les dieux mentent et peuvent nous faire perdre notre identité. Regardons ce qu'il advient de Sosie, créé par Molière lui-même et que Luc-Antoine Diquero interprète avec toute la subtilité nécessaire. Il devient une marionnette, à deux doigts de la folie : me faut-il renoncer à moi-même ?
Si, depuis notre fauteuil nous voyons l'imposture qui concernera aussi Amphytrion (François Rabette), pauvre innocent époux qu'il faudra regarder en coupable, avons-nous la même clairvoyance dans la vraie vie ? Les masques parviennent-ils à tomber aussi rapidement qu'au théâtre ?
Le travail de Laurianne Scimemi participe à cette réflexion puisqu'elle a choisi d'habiller les humains en costumes qui nous sont contemporains alors que les dieux sont représentatifs du courant steampunk, d'où le sentiment que nous avons d'osciller entre réalité et science-fiction.
La bande-son est elle aussi juste parfaite, avec la voix rauque de Terez Montcalm reprenant Je n'attendais que toi (créée par Charles Aznavour et Mama Béa pour le film Édith et Marcel en 1983) :
Je n'attendais que toi / Moi rêvant d'absolu / De choses impossibles / Moi venant de la rue / Sortant de l'inconnu / Qui espérait mon roi / Ce héros invincible ...
Avec Klaus Nomi, et puis aussi cet air jazzy à souhait, enfin paisible, à la toute fin du spectacle, accompagnant des pas de danse : Dites-moi étoile, pourquoi je vous regarde? / Les étoiles les étoiles les étoiles / Dites-moi, étoile qui vous regardera ?… que Melody Gardot chantait déjà en 2009 sur l'album My One and Only Thrill.
Des rires peuvent fuser dans la salle par moment mais sur scène on comprend que les dédoublements perturbent la raison des personnages, nous offrant aussi une réflexion fine sur la question de l'identité.
Après John M. Singe, dont Guy-Piere Couleau avait monté La fontaine aux saints et Les noces du rétameur en 2010, puis l'année suivante Le baladin du monde occidental, il s'est attelé avec autant de bonheur au répertoire de Molière et de Shakespeare. Quel sera son prochain choix ?
Mise en scène de Guy Pierre Couleau
Lumières de Laurent Schneegans
Scénographie de Delphine Brouard
Costumes Laurianne Scimemi
Avec Isabelle Cagnat (Cléanthis), Luc-Antoine Diquéro (Sosie), Kristof Langromme (Mercure), Nils Öhlund (Jupiter), François Rabette (Amphitryon), Jessica Vedel (la Nuit) et Clémentine Verdier (Alcmène)
Théâtre 71, Scène nationale de Malakoff jusqu'au 4 décembre 2016
Après Malakoff le spectacle sera en tournée aux Célestins, Théâtre de Lyon puis le 22 mars de retour en région parisienne au Théâtre Victor-Hugo, de Bagneux (92), puis en mai 2017 au Bateau Feu, de la Scène Nationale de Dunkerque.
Il sera donné à la Comédie de l'Est du 26 janvier au 22 février 2017
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de André Muller
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