Ceux qui pourraient penser que l’univers de Vaklav Havel est marqué du sceau d’une époque révolue doivent aller d’urgence voir Audience et Vernissage à l’Artistic Théâtre.
Mises en scène par Anne-Marie Lazarini, ces deux pièces écrites en 1975 sont au contraire d’une étonnante actualité. Refus de la pensée unique, des idéologies pesantes et du matérialisme, le théâtre de Vaklav Havel secoue nos conformismes faciles et nos démissions par lâcheté. Isabelle est allée les voir et vous en parle sur le blog :
L’auteur (1936-2011) est né dans une famille aisée de l’ex-Tchécoslovaquie qui se voit dépossédée de tous ses biens en 1948 avec l’arrivée des communistes au pouvoir. Lui-même est taxé d’ "ennemi de classe" et doit arrêter ses études en 1951. Après divers petits boulots qui lui permettent de découvrir le théâtre comme éclairagiste puis dramaturge, il s’installe de plus en plus dans la dissidence. La répression du "Printemps de Prague" en 1968 est étouffée par l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie, et les russes imposent la "normalisation".
Mais un vent d’espoir et de liberté a soufflé et même si les écrits de Vaklav Havel sont interdits en 1971, ils circulent sous le manteau. C’est cet esprit qui habite les deux pièces qui nous sont proposées en une seule soirée (avec un billet unique).
On s’imagine monter dans la salle de théâtre à l’étage mais l’ouvreuse nous guide vers le bas. Un escalier puis un autre, nous arrivons dans le sous-sol sombre où sont installés quantité de petites caisses en bois. Distribution de coussins et nous voilà tous assis dans la brasserie pour le début de la première pièce : Audience.
La lumière se fait et on aperçoit derrière des carreaux sales, Sladek (Stéphane Fiévet) assoupi sur un bureau recouvert d’une innommable quantité de bouteilles de bière. Il est réveillé en sursaut par Ferdinand Vanek (Cédric Colas) qu’il a convoqué.
Vanek est un écrivain dissident et, on le comprend vite, une sorte de double de Vaklav Havel. Le régime le contraint à un travail d’ouvrier pour le faire taire et l’abrutir. C’est un homme posé, réfléchi et bienveillant. Sladek de son côté est le prototype du petit chef roublard, pour lequel on ressent répulsion et pitié. Il est torturé par sa propre médiocrité qu’il tente de noyer dans la bière.
Nous assistons à un huis-clos oppressant entre les deux hommes. Sladek s’exprime à tort et à travers, s’échauffe, tente d’amadouer son interlocuteur, l’insulte, pleure. Au départ on ne sait pas trop où il veut en venir. Vanek l’écoute, respectueux, humain, dépité. Mais les choses se précisent et Sladek va proposer à son employé un marché de dupe...
La pièce prend alors toute son ampleur. Sladek représente la victime de l’idéologie, celui qui a fait profil bas face au régime et a perdu sa liberté intérieure: Ils ont peur de toi mon vieux, mais moi, on ne vient pas se renseigner sur moi, car moi on me tient. C’est toi qui tiens le bon bout.
La pièce prend alors toute son ampleur. Sladek représente la victime de l’idéologie, celui qui a fait profil bas face au régime et a perdu sa liberté intérieure: Ils ont peur de toi mon vieux, mais moi, on ne vient pas se renseigner sur moi, car moi on me tient. C’est toi qui tiens le bon bout.
Vanek au contraire incarne la résistance de celui qui veut «vivre en vérité». Il va donc refuser le marché : Monsieur, je vous suis très reconnaissant mais je ne peux pas m’associer à une pratique contraire à mes convictions.
Sladek admire et envie la droiture de Ferdinand. Il espérait le corrompre pour se sentir moins seul dans sa lâcheté : Monsieur a des principes, il s’occupe de rester blanc et propre. Vous tous les intellectuels, vous êtes le dessus du panier même quand vous êtes au fond.
Cette lucidité douloureuse de Sladek rend son personnage supportable. On sent que Vaklav Havel ne porte pas de jugement de valeur sur la personne en elle-même. Chacun fait comme il peut en fonction de sa force de caractère.
Changement de décor pour Vernissage. On nous invite à nous lever pour gagner l’appartement de Véra et Michael dans la pièce à côté. Ils ont invité ce soir-là leur ami de toujours, Ferdinand Vanek, pour lui montrer l’aménagement cossu de leur nouvel intérieur.
Anciens dissidents comme Ferdinand (toujours joué par Cédric Colas), Michael (Marc Shapira) et Véra (Frédérique Lazarini) ont cédé aux sirènes du matérialisme. Fiers de leur réussite et parés de leurs plus beaux atours, maquillée à l’excès pour Véra, ils exhibent leur bonheur domestique jusque dans l’impudeur. La caricature et le snobisme des personnages est source de rires.
Ils espèrent obtenir une réaction d’admiration et d’envie de la part de Vanek et aussi le pousser à suivre leur exemple. Nous te voulons du bien, que ta situation trouve enfin son dénouement. Mais cet étalage d’opulence y compris le décortiqueur d’amandes électrique (!) laisse ce dernier assez indifférent.
Véra et Michael se font insistants, l’enthousiasme se change en désarroi violent. Comme un disque qui déraille, certaines phrases sont répétées jusqu’à créer une impression de malaise. Une musique dérangeante scande ces redites et finit par émettre le bruit d’un vinyl rayé.
Ferdinand tente de partir mais Véra l’agrippe et le retient : Ferdinand, tu ne peux pas nous laisser tout seuls. (...) Nous avons compté sur toi pour rester la nuit, te faire voir le bonheur, une vie pleine de signification.
Mis en face de leur vacuité par le révélateur silencieux qu’est Ferdinand, le couple qui a renoncé à ses idéaux de jeunesse incarne la perte d’identité qu’impose la norme.
Entre comique et tragique, ces deux pièces de Vaklav Havel nous dérangent autant qu’elles nous stimulent. L’auteur n’a jamais renoncé à ses idéaux. Devenu un des personnages clef de la "révolution de velours", il sera élu président de la nouvelle République tchèque indépendante en 1990. Son œuvre théâtrale est le reflet de sa philosophie de vie, lui qui voulait que le théâtre soit la voix de la conscience des hommes.
Mise en scène Anne-Marie Lazarini
Scénographie, lumières François Cabanat
Costumes Dominique Bourde
Avec Cédric Colas, Stéphane Fiévet, Frédérique Lazarini, Marc Schapira
Théâtre Artistic Athévains
45 bis rue Richard-Lenoir, 75011 Paris.
Téléphone : 01 43 56 38 32
Du 9 novembre 2016 au 31 décembre 2016
Les mardi, mercredi et jeudi à 19h ; vendredi 20h30 ; samedi 18h ; dimanche 15h.
Horaire et tarif exceptionnels samedi 31 décembre 19h.
Relâches les lundis et les 24 et 25 décembre.
Les photos logotypées A bride abattue ont été prises par Isabelle, les autres sont de Marion Duhamel
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