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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 30 décembre 2016

Modèle Vivant mise en scène de Xavier Lemaire


(mise à jour 26 février 2017)

Le Studio Hébertot programme un cycle Xavier Lemaire, avec trois pièces qui sont données à des horaires et des jours différents.  Outre la reprise de l'excellent spectacle, Qui es-tu Fritz Haber ?, que j'avais vu il y a trois ans au Poche Montparnasse au moment de sa création, on peut voir le témoignage d'un modèle qui pose dans un atelier.

Ceux qui ont eu la chance de voir l'exposition Mannequin d'artiste à la réouverture du musée Bourdelle apprécieront particulièrement ce spectacle même s'il n'est pas nécessaire de connaitre le sujet auparavant. Qu’est-ce qu’un modèle vivant ? Que se passe-t-il dans la tête et le corps de la personne qui prend la pose ?

Isabelle est allée voir Modèle vivant pour le blog. A écouter les conversations dans la file d'attente elle a constaté que plusieurs personnes venues voir le spectacle sont eux-mêmes des modèles. Sa chronique s'en trouve encore plus vraie.

J’aborde l’une d’elles qui me confie qu’elle a 68 ans et qu’elle est modèle depuis l’âge de 20 ans. Ce travail continue de lui plaire. Elle m’explique que le fait qu’il y ait une contrainte physique l’oblige à rentrer dans son intériorité. Elle en ressort pleine d’énergie pour aller vers les autres. Parfois, l’effort physique lui coûte : certaines postures sont difficiles, voire mal pensées et il arrive qu’on doive les maintenir pendant plusieurs semaines.

Je rentre, grâce à elle, dans un univers inconnu que la comédienne Stéphanie Mathieu va continuer d’évoquer durant le spectacle. Mis en scène par le très talentueux Xavier Lemaire, le texte, largement autobiographique, a été entièrement rédigé par Stéphanie Mathieu. D’abord danseuse de revue, Stéphanie bifurque ensuite vers le théâtre au hasard des rencontres de la vie. En parallèle, elle pose depuis 8 ans, une activité essentielle pour elle.

Sur scène : un podium, un projecteur qu’elle promène au gré des poses, un paravent pour se changer. Seule en scène, elle partage avec franchise et drôlerie sa routine déroutante, ses impressions, ses réflexions.

On pose d’abord pour gagner de l’argent. "Etre à découvert donc découverte peut me rapporter de l’argent !" se dit-elle après avoir été conviée à poser nue dans une banque.

Dans l’atelier, elle attend que chacun s’installe, jeunes élèves des beaux-arts ou retraités. A-t-elle le trac ? Plus vraiment. Froid ? Souvent. La comédienne se déshabille, prend une pose élégante. On sent sa formation de danseuse classique dans la beauté de ses postures. Son corps est sculptural, la lumière l’épouse à merveille. "Une fois que tout est en place, accord parfait avec le silence."
Poser peut être considéré avant tout comme un acte technique. La sensualité et l’érotisme qui se dégagent sont le fruit d’un effort. Le souvenir d’une pose est d’abord charnel, chaque muscle auquel elle envoie de l’oxygène sait ce que 2 minutes, ... 5 minutes d'immobilité veulent dire.
L’art consiste à donner l'illusion qu'on est statique tout en effectuant de micro-mouvements invisibles, car le corps vit, et doit respirer. Et si on faisait poser les corps morts ? nous demande Stéphanie Mathieu non sans humour. Eux au moins ne souffriraient pas et garderaient une pose éternelle, et puis en même temps, cela leur redonnerait vie !

Comment fait-on pour changer de pose ? Sortir de ce labyrinthe du corps ? Parfois, nous avoue la comédienne, je suis dans la boue. Autrement dit, elle est empêtrée dans son corps. Un corps plus ou moins en forme selon les jours. Nous rions à la mimique de son ventre "qui gonfle, qui gonfle" sous l’effet d’un bon repas accompagné d’une eau minérale gazeuse !

Par son corps, le modèle entre en relation avec l’autre. Des yeux la regardent mais la jeune femme aussi les regarde : "Pour moi le spectacle commence et je les regarde me dessiner", alors qu'on entend le grattement de coups de crayons sur un Canson.

Cette création en devenir peut parfois entrainer des frustrations de part et d’autre. Les étudiants la dessinent à leur image et souffrent de ne pas arriver à la représenter à la perfection. De son côté, il y a des déceptions : Je lui en voulais de dessiner seulement les contours. Je ne voulais laisser aucune place à la médiocrité.

Le rapport change quand elle quitte la pose pour prendre une pause : la transition n’est pas simple. J’étais nue. Ils sont pudiques. J’aime qu’ils ne me voient pas comme je me vois.

Dans cette relation, il y a aussi le besoin d’exister par le regard des autres. Cet effet miroir que Xavier Lemaire rend réel à un moment sur le podium en face d’elle en utilisant une glace comme accessoire.
Poser, c'est aussi la promesse d'être le centre du monde : Quand je pose dans un atelier, pendant deux ou trois heures, il n’y a que moi qui compte (...) lire l’admiration dans le regard de l’autre, c’est mieux qu’une crème de beauté."

Au-delà de la relation à l’autre, c’est la relation à soi-même qui est cultivée par le modèle lors de ses longues séances de pose. Coexistent comme dans la danse, la difficulté à tenir la pose et en même temps la possibilité de rêver, d’accéder à une liberté mentale et artistique dont on ressort plus fort. S’engager nue dans la société c’est résister nous dit Stéphanie, et résister c’est créer.

Etre nue, c’est être vulnérable mais paradoxalement, cette nudité protège. Nue, je suis fragile et on n’ose pas me marcher dessus.
Tout au long du spectacle, Stéphanie présente ses courbes dans une esthétique stylisée ou drapée d’une étoffe noire nouée avec élégance. Elle nous dévoile son corps et son âme, imite avec talent aussi bien le rappeur que la bourgeoise.

Poser est un art qui mène à l’acceptation de soi. Se mettre à nu, c’est se découvrir dans les deux sens du terme et accéder comme le dit Stéphanie Mathieu à une forme de maturité et d’abandon. On peut se demander d'ailleurs si une comédienne qui n'aurait pas son expérience parviendrait à nous faire ressentir la situation à un même niveau.

Modèle vivant est une très belle performance qui nous entraîne à mieux comprendre un métier qu’ont exercé parfois des muses célèbres comme Kiki de Montparnasse, (qui fut le sujet d'un spectacle au Lucernaire et à la Huchette), Lee Miller et tant d’autres dont la renommée repose sur le talent de celui qui les a fait renaître par la matière.

Modèle Vivant
De et avec Stéphanie Mathieu
Mise en scène Xavier Lemaire
Décors : Caroline Mexme
Lumières : Didier Brun, Musique : Fred Jaillard
Au Studio Hébertot
78 bis Boulevard des Batignolles, 75017 Paris 01 42 93 13 04
Mardi, mercredi, jeudi à 21h

Reprise du mardi 28 février au 11 avril 2017
Les mardi à 21 h 30
Au Théâtre de Dix heures
36 Boulevard de Clichy 75018 Paris (métro Pigalle)
Photos Lot.

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