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lundi 19 décembre 2016

Sacré Paul ! exposition temporaire au Musée d'Evreux (27) jusqu'au 8 janvier 2017

Sacré Paul ! est la seconde exposition temporaire présentée en ce moment au musée d'Evreux mais je vous en parle sans délai parce qu'elle va bientôt se terminer.

Le titre est assez surprenant. C'est un jeu de mots célébrant l'originalité de Paul Bigo (1930-2015),  prêtre, président de la Commission diocésaine d’Art sacré et collectionneur principalement d'oeuvres d'artistes contemporains dont il fut l'ami.

Il avait souhaité que quelques-unes de ces pièces rejoignent les collections du musée d’Évreux. La visite de cette exposition, qu'il faut mener en parallèle de celle du fonds contemporain dont il fut un partenaire dans la création et l’animation de son  dans les années 1980, témoigne de la personnalité audacieuse de ce sacré bonhomme.

Paul Bigo était ce qu'on appelle un humaniste, un bon vivant, généreux et fidèle en amitié. Il avait déployé sa collection au sein de la maison jouxtant l’église Saint-Taurin (où je me suis rendue aussi), qui lui avait été affectée dans l’exercice de son dernier ministère.

En face de son lit, au-dessus de la cheminée, il avait accroché un format carré de Janos Ber (huile sur toile, Sans titre, 1993) dont le dialogue entre réseaux de lignes, aplats sombres et lumineux au travers duquel transparait le blanc de la toile, lui évoquait aussi le vitrail et le projet qu'ils avaient tous les deux d'en réaliser un ensemble. Le peintre, exilé à Paris en 1957, refusait la distinction entre figuration et abstraction pour se concentrer sur le mouvement émotionnel physique et mental.

Sous l’armoire, de l’autre côté de la pièce, un carton à dessin renfermait des études de vitraux signées Lauté, Rezvani et Pierre Lafoucrière ... à qui l'on doit ce portrait du collectionneur, aquarelle, fusain et sanguine sur papier, exécuté vers 2012.

Certaines pièces ne sont pas très "classiques" comme ce carnet de recettes, extrait d'un ensemble de quatre, illustré par des oeuvres d'art ancien et contemporain. On découvre par exemple au fil des pages Adam et Eve de Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553) voisinant avec une peinture de Hans Hartung (1904-1989) ou bien encore la Vénus d'Urbino du Titien (vers 1488-1576) dialoguant avec une oeuvre de Vasarely (1906-1997).

S'il témoigne de la grande ouverture d'esprit de Paul Bigo en matière d'art, de son humanisme et de sa culture, ce carnet nous rappelle qu'il fut aussi un bon vivant et que la bonne chère qu'il aimait et dont il régalait ses amis était aussi au rang des nourritures spirituelles ... ce dont je ne peux pas douter puisque c'est intentionnellement que le blog est alternativement culturel et culinaire.


Un tableau de Bernard-Marie Lauté, posé à plat (Sans titre, 1987 huile sur toile) témoigne de leur intérêt commun pour la problématique de la lumière. Il a passé son enfance à Gisors, dans l'Eure, où il a été initié à la peinture par Paul Bigo lui-même.
Il réalisera des projets de vitraux, notamment pour la chapelle de la fondation Anne de Gaulle près de Saint-Rémy-les-Chevreuse (91).
Paul Bigo a joué un rôle dans l’animation d’un petit groupe d’artistes. Il organisa des expositions pour les rendre accessibles au public. En toute logique, les nombreuses études, estampes et toiles de petites dimensions qui ornaient les murs de sa maison constituaient des cadeaux reçus d’artistes en témoignage d’amitié.

Une aquarelle d’Alexandre Hollan était posée sur une étagère de la cuisine.  On peut admirer une oeuvre immense de cet artiste, né à Budapest en 1933, peintre des arbres et des vies silencieuses, intitulée Le Grand Chêne de Vigis-le-Fort, (acrylique sur toile, 2015).
La vingtaine d’œuvres sélectionnée parmi l’ensemble important qui nous a été proposé s’accompagne d’une abondante documentation (correspondances, croquis, photographies) garantissant la contextualisation et une meilleure connaissance de l’ensemble.

Parmi celles-ci, cet Opus 95-E, (huile sur toile, 1961) de Gérard Schneider (1896-1986), un des grand maitres de l'abstraction lyrique qui triompha à Paris après la seconde Guerre mondiale. Dans sa pratique picturale, il laisse toute la place à la spontanéité du geste et à l'expressivité de la couleur. Parce que, disait-il : "Il faut voir la peinture abstraite comme on écoute la musique, sentir l'intériorité émotionnelle de l'oeuvre sans lui chercher une identification avec une représentation figurative quelconque. Ce qui est important, ce n'est donc pas de voir l'abstrait, c'est de le sentir".
Autre tableau de grande taille, ces Strates-soleils (1984, acrylique sur toile) de Paul Kallos (Hongrie 1928-2001), arrivé à Paris à l'âge de 22 ans. Il fut proche de Raoul Ubac, Pierre Tal-Coat et Jean Bazaine. Il se disait avoir été très touché par les paysages de son enfance, sur la grande plaine hongroise. Je me souviens qu'en été, avec une boite d'aquarelle, en pleine campagne, j'allais dessiner les arbres qui se reflétaient au bord des étangs.
Les premières Strates apparaissent à partir de 1977. Sa peinture évolua ensuite dans les années 1980 vers un paysagisme fluide et aérien, accordant au blanc de la toile un rôle matriciel.
Autre peintre influencée par la nature, plus indirectement, Joan Mitchell (1925-1992) Sans titre, (huile sur toile, 1964) découvre en la série des Nymphéas de Monet matière à recyclage et récupération tout en exprimant son propre sentiment face à la nature ... dans tous mes tableaux il y a les arbres, l'eau, les herbes, les fleurs ...  mais pas directement : l'eau par exemple, c'est la seine, c'est le lac Michigan aussi ... C'est plutôt le sentiment que j'ai pour ces choses. disait-elle.

Après la seconde guerre mondiale l'impressionnisme qui avait été rejeté par les avant-gardes du début du siècle, était donc devenu source d'inspiration pour une nouvelle génération d'artistes comme Joan Mitchell, membre de l'expressionnisme abstrait américain.
On découvre aussi au fil de l'exposition des éléments de taille beaucoup plus petite, que Paul Bigo appelait ses petits trésors et qui sont un ensemble d'images pieuses, créées par Braque, Zao Wou-Ki, Ubac, Székely. Ces images témoignent du rôle et de l'implication des artistes du XX° siècle dans le renouveau de l'art catholique en France. Il en possédait des dizaines, qu'il distribuait autour de lui pour offrir aux jeunes l'accès à un art moderne propre à élever l'esprit au même titre qu'une fresque de Fra Angelico par exemple. Pour lui les images dites saint-sulpiciennes n'étaient que pacotilles impropres à l'expérience du divin. L'expérience esthétique était pour lui spiritualité, et ses missions d'évangélisateur passaient par une sensibilisation à l'art jusque dans les plus petites choses du quotidien, comme un carnet de recettes de cuisine ...

Sacré Paul ! exposition temporaire jusqu'au 8 janvier 2017
Musée d'art, d'histoire et archéologie d'Evreux 
6 rue Charles Corbeau - 27000 Évreux 02 32 31 81 90

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