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samedi 4 août 2018

Ça peut toujours servir de Guillemette Faure

Ceux qui me connaissent savent combien je répugne à jeter. Pire, j'ai tendance à thésauriser en pensant que ça pourra toujours servir (et souvent ça sert) tout en détestant être envahie.

J'utilisais la formule de Boileau en forme de provocation à l’encontre de ma mère pour justifier de ne pas ranger ma chambre quand j'étais adolescente : Un beau désordre est un effet de l’art.

On a tous des vieux tee-shirts au fond de nos placards, au cas où il faudrait refaire les peintures (je les utilise comme chiffons et je jette sans remords, du coup j'utilise). On a aussi des tas d’échantillons de produits de beauté, des boîtes de boutons dépareillés qu’on ne recoudra jamais (là je m'inscris en faux parce que je puise régulièrement dedans) et évidemment un tiroir d’anciens chargeurs pour des appareils qui ne fonctionnent plus… Parfois surgit l’obligation de vider sa maison et l’on réalise que ce que l’on gardait parce que "ça peut toujours servir" n’avait de valeur qu’à nos yeux. Pourquoi peinons-nous à nous séparer de ce qui raconte notre vie ?

Trop conserver peut -c'est vrai- au fil du temps devenir un souci. Et il ne faut pas croire que c'est une question de superficie disponible, même si ça compte. J'ai vu d'immenses maisons encombrées de fouillis disparate et poussiéreux totalement rebutant.

On sait tous que ce type de comportement n'est pas bon. Pourquoi avons-nous du mal à jeter ? Guillemette Faure a raison de poser cette question en premier lieu. Cette démarche lui évite d'être donneuse de leçons mais plutôt donneuse de pistes.
En plus elle s'adresse au lecteur avec humour. Sa liste (non exhaustive cela va de soi) de ce que l'on croit utile et qui ne sert jamais est assez désopilante. Elle figure à la fin du livre et se complète d'une liste conçue sur le modèle inverse et qui donne des idées à ceux qui voudraient ne pas oublier de conserver un truc qui aurait pu servir un jour à quelqu'un.

La lire nous place face à nos stupidités et c'est avec soulagement que j'ai jeté deux sacs de choses vraiment inutiles, à commencer par l'inutilisable. Les crayons qui ne fonctionnent pas n'ont cette fois pas eu grâce à mes yeux. Merci Guillemette. J'ai osé les jeter.

Les États-Unis comptent aujourd'hui plus d'entrepôts de "storage" que de McDo ; 10 % des foyers américains en louent un. En France, le marché explose, progressant de 15 % par an. "Cet essor tient à la façon dont ces entreprises ont saisi notre incapacité à nous séparer de ce qui pourrait toujours servir", écrit l'auteure. J'ajouterais que c'est parfois une question de loyauté envers nos parents qui nous ont légué leur propre capharnaüm. J'ai rendu la clé du garage que je louais depuis trois ans pour y stocker une partie de mon héritage (n'ayant que peu de valeur vénale). Merci Guillemette car j'économise le coût de la location et je me suis sentie libérée d'un poids affectif.

Guillemette ne le précise pas mais le verbe ranger s'emploie à tort et à travers. Ranger c'est mettre en rang selon un critère (par exemple du plus petit au plus grand) ... On dira qu'ici c'est le potentiel d'employabilité qui primera. Ensuite l'action impose de classer (autrement dit mettre ensemble ce qui s'accorde) et donc de trier (séparer le bon grain de l'ivraie). Avec le temps pour corollaire. Il faut plusieurs heures pour vider et réordonner le moindre placard.

Mais rien ne nous oblige non plus à "tout" ranger le même jour et en une seule fois. Ce doit être une hygiène de vie.

Prendre (perdre ?) du temps pour "ranger" et ensuite regretter de ne plus avoir sous la main ce truc soudain si indispensable ... c'est juste impensable et fait partie de nos blocages. D'autant que les périodes de tri en général associées au grand ménage. Il est impensable de vider une armoire sans y passer un "petit" coup d'aspirateur ... et c'est pile à ce moment là qu'un pernicieux rayon de soleil vous montre qu'il faudrait aussi donner un "petit" coup sous le lit et puis faire les carreaux ... c'est sans fin.

Il faut certes penser à jeter (de temps en temps) mais ne faudrait-il pas commencer par ne pas ramener chez soi tout et n'importe quoi. J'ai retenu du livre qu'il ne faut pas confondre conserver et collectionner, qu'il faut se méfier des échantillons gratuits (je les refuse désormais), des achats en grosse quantité (le 3 pour le prix de 2).

La lecture de cet ouvrage a eu des conséquences pour moi, et j'en suis heureuse. J'ai optimisé les placards, dégrossi une bonne partie de ce dont je ne me servais pas ou plus, gagné de l'espace. Et je me suis donné quelques règles de vie pour limiter les invasions.

Notez au passage que j'ai remis la main sur des objets que je croyais avoir perdus et qui me "manquaient". Comme mon chapeau de sorcière qui m'a vraiment fait défaut la saison dernière.

En effet garder est une chose, se souvenir où elle est en est une autre.

Par contre il y a des domaines où je ne changerai pas. En particulier dans ma façon de traiter les dossiers de travail qui certes s'empilent sur mon bureau. J’ai vu celui de Piaget, un grand pédagogue. Il m’a décomplexée. Tout laisser à vue et à portée de main peut même être une méthode de travail. Car tout ce qui est enfermé dans les placards est "enterré, fossilisé" et donc ne risque pas de disparaître. Alors que ce qui traîne à porte de vue court un risque, celui d'être saisi d'une poigne ferme pour atterrir dans une poubelle.

Ma mémoire visuelle me permet de retrouver illico le document dont j'ai besoin et il est hors de question que je les place dans des sous-chemises, elles-mêmes dans des chemises, qui seront associées dans des boites de rangement.

Ma préférence va aux pochettes plastiques transparentes qui se manipulent à vitesse grand V et qui laissent tout voir. Par contre il faut régulièrement "faire baisser les niveaux", et jeter ce qui est périmé. C'est facile, cela se voit sans devoir ouvrir les dossiers.

Autre "sagesse", avoir une poubelle papier "tampon" que je vide seulement toutes les trois semaines ... pour me tranquilliser au cas où j'aurais par mégarde jeté trop vite le ticket de caisse indispensable pour échanger un achat par exemple. C'est le principe de l'élimination en deux temps (p. 59).

Chacun ses trucs. J'ai un autre principe : avoir au moins une pièce où rien ne traine, histoire de se prouver qu'il est possible de vivre sans faire des piles un peu partout. Il me semble raisonnable d'entretenir des espaces indemnes de bazar alors que d’autres lui sont dévolus.

J'ai pris aussi la résolution de me poser la bonne question. Non pas ça peut toujours servir mais plutôt ai-je envie de m’en servir ? (même un jour lointain). Je conserve ainsi :

  • des piles de magazine féminins qui entretiennent la douce illusion que je flânerai en les feuilletant.
  • Quelques sachets de bonbons que je ne mangerai jamais et qui donc ne nuiront pas à ma santé.
  • Des médocs périmés mais qui pourront avoir un effet placebo (je vous jure que ça marche, même sur moi).
  • Des vêtements démodés parce que justement comme disait Rykiel, la mode c’est la démode.
  • Des sacs de rubans, ... où je puise régulièrement car je suis très bricoleuse et je customise beaucoup.
  • Des piles de livres qui ne me tentent pas. Trop d’effort. Ils seront donnés un jour, pas jetés.
  • Des mails, des notes, des trames de manuscrits mais que j'estime peu encombrants.

Ajoutez à cela mon amour de la récupération. Je suis de celles qui sortent le soir des encombrants le coeur battant. Le pire est que j'ai trouvé ainsi de vrais trésors (mais qu'on se rassure, uniquement des objets qui me servent vraiment et dont je ne me débarrasserai jamais).

J’ai quand même réussi à ne pas importer la totalité du contenu de la maison de mes parents après leur décès. Je ne suis donc pas "irrécupérable". Et je donne en MP les coordonnés d’un type formidable qui vous vide une maison dans les règles de l'art.

Je vous recommande donc grandement la lecture du livre de Guillemette Faure. Je la félicite pour la finesse de son analyse et sa manière de déculpabiliser nos travers. A l'inverse de mon entourage qui à la fois trouve que je garde trop de choses et qui n'arrête pas de me solliciter d'un : dis donc, t'aurais pas ...

Ça peut toujours servir de Guillemette Faure, chez Stock, en librairie depuis le 11 avril 2018

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