Ce premier roman de Judith Sibony m'est arrivé, non pas par le circuit des 68 premières fois mais directement, peut-être parce qu'étant chroniqueuse théâtre j'étais une probable lectrice type.
Julie, la fille de Robert, le metteur en scène qui pourrait être le personnage central de toute l'histoire, informe d'emblée le lecteur que son père a peur de passer à côté de la vie, et de fait Judith Sibony lui fait jouer le rôle de l'arlésienne en ne lui donnant guère la parole.
Le roman est très construit autour de la question de la vérité. Le théâtre est-il la vie ? Inversement, la vie est-elle (aussi) un théâtre ? Donner vie à un projet est-il comparable à donner la vie à un enfant ? Il fouille aussi le thème de la pérennité. Comme le dit Robert à sa femme, non sans humour et ironie : ma chérie, être insomniaque ne te rendra pas impérissable.
Les thèmes se croisent dans un mouvement perpétuel de remises en cause et de jeux de cache-cache infinis. Doit-on davantage fidélité à ses principes ou aux personnes avec lesquelles on "joue" comme semble le penser Albert, partenaire immuable de Natacha depuis leurs années de formation au Conservatoire ?
Celui de la célébrité de l'artiste comparativement à l'anonymat d'un donneur dont le principe est parfaitement justifié (p. 52) se profilera aussi en filigrane.
Judith Sibony interroge sur le désir de maternité autant que sur le refus de paternité. A l'instar de Je, tu, elle d'Adeline Fleury, elle secoue les préjugés en adoptant le point de vue de chacun des personnages principaux. On s'interrogera jusqu'au bout pour déterminer qui est La femme de Dieu entre Élisabeth, l'actrice épouse de Robert, Natacha, sa maitresse, nouvelle jeune "première", confondante de naturel, voire même Marie Waltz, la mère de Natacha, qui est une biologiste spécialisée dans la procréation médicale assistée. A moins que ce ne soit Luce, la grand-mère, dont le prénom est quasi synonyme de vie.
Tout dépend de la réponse à la question de savoir qui est Dieu, au ciel ou sur la terre.
En outre cette comédie dramatique se révèle plutôt pertinente sur le monde du théâtre, et pour cause puisque l'auteure le connait bien. Elle collabore à la revue Théâtre(s) et tient depuis 2010 un des blogs invités du monde.fr : "Coup de théâtre". Il faut lire avec attention les pages 78 et suivantes à propos du rendez-vous que nous donne le théâtre avec l'intelligence.
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