K.O. va surprendre plus d'un lecteur. Hector Mathis nous livre ici un premier roman très singulier, repéré bien avant sa sortie par de nombreux jurys littéraires. Et ce n'est qu'un début.
Le récit ne suit pas l'ordre chronologique. Voilà pourquoi je suis entrée péniblement dans l'ouvrage avant de me faire happer par le style. Alors je n'ai plus lâché.
L'auteur écrit la misère avec une poésie infinie pour nous faire sentir combien Sitam avait du cauchemar plein les semelles (p. 127). Comme lui il n'a pas l'adjectif malhonnête (...) et les mots dont il use sont des communs mais ils font pas semblant (p. 122).
On s'habitue vite à sa rhétorique et on l'apprécie. Comme lui, faut pas m'échafauder des phrases trop prudentes, j'y trouve(rais) des certitudes (p. 128).
Hector Mathis nous raconte une histoire d'amour, celle de Sitam, jeune homme fou de jazz et de littérature, qui tombe amoureux de la môme Capu. Elle a un toit temporaire, prêté par un ami d’ami. Lui est fauché comme les blés. Ils vivent quelques premiers jours merveilleux mais un soir de novembre 2015, sirènes, explosions, coups de feu, policiers et militaires envahissent la capitale. La ville devient terrifiante...
Bouleversés, Sitam et Capu décident de déguerpir et montent in extremis dans le dernier train de nuit en partance. Direction la zone - "la grisâtre", le pays natal de Sitam. C’est le début de leur odyssée. Ensemble ils vont traverser la banlieue, l’Europe, Amsterdam, une ville où on ne choisit pas où l'on va, c'est la ville qui décide (p. 83) et la précarité... parmi des garçons de café, des musiciens sans abris et un imprimeur oulipien.
Hector Mathis connait la musique. Avant de s'atteler au roman il écrivait des chansons. Cela imprime un rythme et nourrit son écriture de poésie. Peu importe que les faits soient réels, ou inspirés d'évènements ayant réellement eu lieu, ses mots nous percutent avec l'énergie du désespoir. Et pourtant oui, il y a de la légèreté dans l'air, c'est sans doute ce qui est le plus bouleversant.
En relisant les premières pages après avoir terminé une première lecture l'effet de miroir entre Sitam et Hector m'a paru évident. Dans tout ce dégueulasse et cette beauté y avait de la matière à mettre en gamme. Je la tenais ma raison d'être au milieu. J'allais droit vers la littérature, depuis le départ. Je traquais mon roman, ma musique. Fallait que j'écrive (p. 75).
Tout fait sens. Comme Sitam il est entré en littérature par la musique (p. 96). Et il nous offre des charades à tiroirs particulièrement inventives (p. 116 et svtes). On frémit à l'annonce du diagnostic (p. 130) de la maladie du jeune homme en se disant que pourvu qu'il ne soit pas complètement son alter ego.
Nombreux sont ceux qui vont comparer ce roman à Voyage au bout de la nuit mais plutôt que Céline, c'est sans doute Bernard Lazare qu'il conviendrait de pointer, comme l'auteur le fait lui-même en recommandant la lecture des Porteurs de torches, publié en 1897, réédité en 2016 chez hachette (p. 91).
Un écrivain est né. Il parait qu'Hector Mathis a déjà terminé son second roman. On s'en réjouit.
K.O. de Hector Mathis, chez Buchet-Chastel, en librairie le 16 août 2018
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