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jeudi 23 août 2018

Don Juane adapté et mis en scène par Emmanuelle Erambert

Don Juane au féminin donc, ... beaucoup m'ont dit être agacés par la tournure. Ils ont grandement tort ! le travail d'adaptation et de mise en scène d'Emmanuelle Erambert est re-mar-qua-ble. J'espère que je serai entendue là-dessus. Mais comme rien ne vaut sans preuve j'ai ajouté à la fin de cet article la bande-annonce du spectacle qui en donne une idée assez juste.

J'ai été enchantée de le découvrir en Avignon. Il est programmé deux soirs (pour le moment) sur Paris en septembre et il ne faut pas le manquer. Un calendrier additionnel est en préparation avec la tournée en banlieue et province.

On sait bien que Molière est quasiment intemporel. Ce qu'il a écrit pour un homme est tout à fait déclinable pour une femme. Le moeurs ont évolué et la séduction n'est pas ou plus un tabou.

Mozart a choisi ce thème pour composer un opéra. Emmanuelle Erambert conjugue en quelque sorte les deux arts en proposant une version qui demeure du théâtre, mais qui comprend aussi des morceaux chantés, superbement d'ailleurs en particulier par Garance Dupuy qui a une très jolie voix. C'est elle qui endosse le rôle titre. Elle semble fragile et mutine mais elle a un coeur d'acier et plus d'un(e) vont en faire les frais.
Constituer une très jeune troupe pour jouer Molière apporte de la fraicheur et de l'élan. La diction de chacun est parfaite (ce n'est pas leur moindre qualité). Les accents sont assumés sans défaut par Charlot (Lancelot Cherer) et Pierrette (Sarah Ibrahim) lorsque leurs rôles le justifient. Le décor ne souffre aucune fioriture inutile; les costumes sont à vue. C'est simple parce que l'essentiel est bien le jeu.
La pièce commence sans surprise sur Le Stabat Mater de Pergolèse (que l'on entendra à plusieurs reprises). Une atmosphère de marivaudage plutôt savoureuse s'installe tranquillement, avec quelques jolis effets comme celui d'un orage qui survient à point nommé, renforçant l'hypothèse de l'existence d'une justice divine.

On réalise que Molière n'a pas voulu dénoncer une technique particulière de séduction. Il y a bien évidemment les artifices de Don Juane, mais on remarque que les manières de Pierrette, quoique très différentes, ne sont pas sans effet. Nous allons tous nous reconnaitre dans un des personnages ... ce qui justifie que les comédiens entonnent Les Don Juan de Claude Nougaro, qui est très joliment bruitée et accompagnée de pas de claquettes.

Deux conception s'opposent. Le texte se goûte avec délectation : il faut faire et non pas dire (...) on verra quand je me marierai ... temporise Don Juane alors que pour Pierrette l'honneur est plus précieux que la vie. Le spectateur remarque le mouvement très léger de la statue de la Commandeuse et comprend que la fin ne sera pas dévoyée.

Un des atouts de cette version est de ne pas se situer dans la parodie ou le pastiche, mais bien dans une déclinaison féminine d'un grand standard du théâtre classique. La direction d'acteurs est très bien menée, sur le fil du rasoir. Tous les comédiens seraient à citer.

Comme il est drôle de se souvenir de ce grand succès de Patrick Coutin du début des années 80 J'aime Regarder Les Filles en entendant Don Juane dire ces mots, en voix parlée,  J'aime regarder les hommes ... et danser, en robe écarlate, en écoutant à peine les mises en garde. C'est bien connu,  comme le chantait Cindy Lauper en 1983, les filles veulent juste s'amuser (Girls just want to have fun). Un an plus tard ce sera Madonna qui fera scandale avec Like a virgin qui, en toute légitimité, sera revisité et chanté sur scène par une Don Juane cette fois tout de noir vêtue.

La jeune femme ne fera pas du tout amende honorable. Elle compte bien profiter de la faiblesse des hommes ... et des femmes, quel que soit le prix à payer. Pour défier le destin Don Juane emprunte les mots de Barbara avec un trouble contenu :
La garce, que le Diable l'emporte !
Elle est revenue, elle est là
Avec sa gueule de carême
(..)
Elle nous fait des mains blêmes
(...)
 jusqu'à mon souffle dernier,
Je veux encore dire "je t'aime"
Et vouloir mourir d'aimer.

Mais il se pourrait bien que la sanction soit plus lourde qu'un peu de solitude ... malgré la légèreté de Sganarelle (excellente Salomé Benchimol) qui témoigne de l'unicité de sa patronne qui était si .. tra-la-la, Que null' part y'en n'avait un' comm'ça, en reprenant les paroles de la chanson de Francis Lopez interprétée par Suzy Delair dans "Quai des Orfèvres".

Je ne vous raconterai pas tout mais je voudrais pointer enfin la manière dont la représentation se termine alors qu'une jolie émotion secoue la salle.
J'ai insisté sur les temps musicaux parce qu'ils sont très bien choisis et qu'ils apportent quelque chose à la mise en scène mais il serait abusif de classer la pièce dans la catégorie des spectacles musicaux. Le propos de molière est bien respecté :
Accompagnée de sa fidèle – et néanmoins critique – servante Sganarelle, la jolie et insoumise Don Juane court d’une conquête amoureuse à l’autre, toujours avide d’un désir par définition insatiable. Après avoir tué la grande Commandeuse puis séduit Don Elviro, un homme d’église qu’elle amène littéralement à se "défroquer", Don Juane abandonne ce dernier, déjà tout à sa prochaine conquête, un jeune paysan qu’elle compte bien envoûter le jour même de son mariage. Mais un naufrage l’empêche d’aboutir son projet. Qu’à cela ne tienne : Don Juane repère vite deux autres jolis paysans crédules qu’elle promet tour à tour d’épouser.Bientôt poursuivie par les sœurs d’Elviro qui veulent venger leur frère déshonoré, Don Juane sauve l’une d’elles, Dona Carla, de l’agression de trois voleurs. Elle croisera ensuite le chemin d’une pauvre qu’elle tentera – en vain – de faire blasphémer.Le hasard – à moins que ce ne soit le destin – conduit les pas des deux fugitives devant le tombeau de la Commandeuse. Don Juane, toujours provocatrice, ordonne à Sganarelle d’inviter la majestueuse statue à souper… Sauf que cette dernière acquiesce d’un mouvement de tête !
Je vous l'avais promis, voici la bande-annonce pour achever de vous convaincre ... si comme Don Juane il y a en vous de l'incrédulité.

Don Juane de Molière
Adaptation et mise en scène Emmanuelle Erambert
Avec Garance Dupuy, Salomé Benchimol, Léna de Saint Riquier, Christophe Mai, Sarah Ibrahim, Baptiste Dupuy, Lancelot Cherer, Emmanuelle Erambert
Création lumières Arthur Dupuy
Du 6 au 29 juillet 2018 à 14h 45, Relâche les 11, 18 et 25 juillet
Au Théâtre Notre-dame • 13 à 17, rue du Collège d'Annecy • 84000 Avignon • Tél : 04 90 85 06 48
Reprise les 19 et 21 septembre à 19 h 30
Au Funambule Théâtre • 53 rue des Saules • 75018 Paris
Tél : 01 42 23 88 83

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