Un morceau de chaise, une demie table, les éléments de décor sont très succincts mais ils suffisent à évoquer d'emblée un de ces bistrots impersonnels où l'on attend son train.
Stéphane Cottin a imaginé une scénographie qui fonctionne admirablement sur la petite scène du Studio Hébertot. Les panneaux pivotent et créent des espaces différents. Le cyclo de fond de scène est essentiel pour recevoir la projection de ciels adaptés à chaque moment.
Acteur, créateur lumière, créateur sonore, vidéaste, il a créé Tendresse à Quai en résidence au théâtre de Saint Malo en mars 2016. On avait apprécié déjà au Studio Hébertot ce qu'il avait conçu pour Cantate pour Lou. Et par exemple aussi Le lauréat dont il avait imaginé le décor et assuré la mise en scène au Théâtre Montparnasse. Je pourrais en citer plusieurs autres ... c'est un touche à tout de génie.
Tout sépare Madeleine et Léon, l'âge, la condition sociale, les idées ... et pourtant nous allons voyager en leur compagnie depuis leur rencontre improbable ... sur un hypothétique quai de gare vaguement situé à Austerlitz. Nous repartirons du théâtre persuadés que la vie est un conte.
Léon Brémont (Henri Courseaux) est un vieil écrivain sans doute talentueux (il a reçu un prix Goncourt) mais désormais en mal d’inspiration. Madeleine (Marie Frémont) est une cadre commerciale trentenaire, sans doute performante mais qui va être licenciée. Pour le moment elle est absorbée dans une lecture un peu ardue dont le spectateur découvre le texte en surtitre.
Elle soupire, branche ses écouteurs et le public entend ce qu'elle écoute alors, une émission littéraire où s'exprime nommément une des plus grandes journalistes de la critique théâtrale. La tessiture de la comédienne qui assure la voix off est d'ailleurs si proche de l'originale que j'ai cru qu'elle jouait son propre rôle, ce que j'ai trouvé très fort, très classe (j'ai appris plus tard que pas du tout ... pour ma part je l'aurais sollicitée, d'autant qu'il me semble qu'elle a déjà joué son propre rôle dans un film ou quelque part ...). Plus tard Léon osera répondre à la question de l'incohérence narrative en fanfaronnant : le vrai chic serait de se faire torcher par la critique (effectivement on craint que ce trait d'humour soit prémonitoire). Le personnage ne mâche pas ses mots. Il affirme avec colère que l'adjectif est la malbouffe du langage, nous rappelant d'autres diatribes sur d'autre terrains.
Léon est lui aussi en partance pour sans doute la même destination que Madeleine dont la présence le subjugue. Il imaginera la vie de cette inconnue (qu’il baptise Madeleine) qui incarne Godot au féminin. Soudain il est facile de lui prêter des frustrations et des aspirations tout en laissant en friche le champ des possibles résolument impossibles.
Elle découvre par hasard ce texte, que l’auteur a publié sur Facebook. Elle s’y reconnaît si parfaitement qu’elle décide de s’inviter chez lui à l’improviste. Ce qui se noue alors entre eux n’est pas seulement une impossible histoire d’amour transgénérationnelle, c’est aussi le tendre affrontement de deux logiques, de deux solitudes assoiffées qui finiront par tomber d'accord sur l'essentiel.
Mais est-ce l’imagination de Léon ou la réalité lorsque la jeune femme sonne à sa porte alors qu’il est justement en train d’écrire sur elle ? Assistera-t-on à la suite du roman ? Est-elle Colette, Madeleine ou Solange, la fille de Léon, surgie du passé ? Sont-ils tous deux des personnages inventés ou des êtres de chair ?
La pièce secoue la vérité dans le shaker de la vraisemblance. On se réjouit que le grand Jacques ait rendez-vous avec sa Madeleine et qu'ils puissent enfin monter dans le tram trente-trois. Lorsqu'on les voit danser avec leurs ailes d'ange on ne met pas en doute la perception que l'on a de ces instants partagés.
On quitte le studio Hébertot en se promettant de lire ou relire Les fenêtres de Mallarmé pour voir des galères d’or, belles comme des cygnes / Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir / En berçant l’éclair fauve et riche de leurs lignes / Dans un grand nonchaloir chargé de souvenir !
Nous avons eu les oreilles bercées par un texte subtil, battant l'amble entre comédie et poésie, le coeur secoué par le jeu des comédiens, et les yeux enchantés des ciels de Stéphane Cottin.
Plusieurs autres pièces de haut niveau cueilleront le public dans ce théâtre qui mérite son qualificatif de "studio" et qui remplit sa promesse d'être un lieu de création et d'expression contemporaine. Tout en avançant sur les même rails que les saisons précédentes, la signalétique a changé. Vous remarquerez combien il est devenu facile de mémoriser les horaires pour ne pas louper le voyage.
Tout sépare Madeleine et Léon, l'âge, la condition sociale, les idées ... et pourtant nous allons voyager en leur compagnie depuis leur rencontre improbable ... sur un hypothétique quai de gare vaguement situé à Austerlitz. Nous repartirons du théâtre persuadés que la vie est un conte.
Léon Brémont (Henri Courseaux) est un vieil écrivain sans doute talentueux (il a reçu un prix Goncourt) mais désormais en mal d’inspiration. Madeleine (Marie Frémont) est une cadre commerciale trentenaire, sans doute performante mais qui va être licenciée. Pour le moment elle est absorbée dans une lecture un peu ardue dont le spectateur découvre le texte en surtitre.
Elle soupire, branche ses écouteurs et le public entend ce qu'elle écoute alors, une émission littéraire où s'exprime nommément une des plus grandes journalistes de la critique théâtrale. La tessiture de la comédienne qui assure la voix off est d'ailleurs si proche de l'originale que j'ai cru qu'elle jouait son propre rôle, ce que j'ai trouvé très fort, très classe (j'ai appris plus tard que pas du tout ... pour ma part je l'aurais sollicitée, d'autant qu'il me semble qu'elle a déjà joué son propre rôle dans un film ou quelque part ...). Plus tard Léon osera répondre à la question de l'incohérence narrative en fanfaronnant : le vrai chic serait de se faire torcher par la critique (effectivement on craint que ce trait d'humour soit prémonitoire). Le personnage ne mâche pas ses mots. Il affirme avec colère que l'adjectif est la malbouffe du langage, nous rappelant d'autres diatribes sur d'autre terrains.
Léon est lui aussi en partance pour sans doute la même destination que Madeleine dont la présence le subjugue. Il imaginera la vie de cette inconnue (qu’il baptise Madeleine) qui incarne Godot au féminin. Soudain il est facile de lui prêter des frustrations et des aspirations tout en laissant en friche le champ des possibles résolument impossibles.
Elle découvre par hasard ce texte, que l’auteur a publié sur Facebook. Elle s’y reconnaît si parfaitement qu’elle décide de s’inviter chez lui à l’improviste. Ce qui se noue alors entre eux n’est pas seulement une impossible histoire d’amour transgénérationnelle, c’est aussi le tendre affrontement de deux logiques, de deux solitudes assoiffées qui finiront par tomber d'accord sur l'essentiel.
Mais est-ce l’imagination de Léon ou la réalité lorsque la jeune femme sonne à sa porte alors qu’il est justement en train d’écrire sur elle ? Assistera-t-on à la suite du roman ? Est-elle Colette, Madeleine ou Solange, la fille de Léon, surgie du passé ? Sont-ils tous deux des personnages inventés ou des êtres de chair ?
La pièce secoue la vérité dans le shaker de la vraisemblance. On se réjouit que le grand Jacques ait rendez-vous avec sa Madeleine et qu'ils puissent enfin monter dans le tram trente-trois. Lorsqu'on les voit danser avec leurs ailes d'ange on ne met pas en doute la perception que l'on a de ces instants partagés.
On quitte le studio Hébertot en se promettant de lire ou relire Les fenêtres de Mallarmé pour voir des galères d’or, belles comme des cygnes / Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir / En berçant l’éclair fauve et riche de leurs lignes / Dans un grand nonchaloir chargé de souvenir !
Nous avons eu les oreilles bercées par un texte subtil, battant l'amble entre comédie et poésie, le coeur secoué par le jeu des comédiens, et les yeux enchantés des ciels de Stéphane Cottin.
Plusieurs autres pièces de haut niveau cueilleront le public dans ce théâtre qui mérite son qualificatif de "studio" et qui remplit sa promesse d'être un lieu de création et d'expression contemporaine. Tout en avançant sur les même rails que les saisons précédentes, la signalétique a changé. Vous remarquerez combien il est devenu facile de mémoriser les horaires pour ne pas louper le voyage.
Tendresse à quai
De Henri Courseaux
Mise en scène de Stéphane Cottin
Avec Henri Courseaux et Marie Frémont
Du 29 Août au 18 Novembre 2018
Du mercredi au samedi à 21h
Le dimanche à 14h30
Au Studio Hébertot
Studio Hébertot
78 bis, boulevard des Batignolles - 75017 Paris
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire