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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 5 mai 2019

Suiza de Bénédicte Belpois

La tranquillité d’un village de Galice est perturbée par l’arrivée d’une jeune femme à la sensualité renversante, d’autant plus attirante qu’elle est l’innocence même. Comme tous les hommes qui la croisent, Tomás est immédiatement fou d’elle. Ce qui n’est au départ qu’un simple désir charnel va se transformer peu à peu en véritable amour.

Les habitants pensent que la jeune femme vient de Suisse alors ils l'ont surnommée Suiza. J'ai peu envie de raconter, d'analyser longuement ce livre, qui est un premier roman, de traquer les quelques incohérences (d'accord il y en a).

Il est selon moi parfait en ce sens que Bénédicte Belpois m'a fait voyager dans une région que je ne connaissais pas et surtout qu'elle m'a fait partager la rencontre de deux êtres qui vont connaitre un amour fou qui m'impose le respect.

On ne va pas disséquer la recette d'un chef 4 ****. On sait qu'on ne dégustera jamais pareil ailleurs ; on savoure et on se tait.

J'ai aimé cette histoire du début à la fin, oui, même la fin, dont par chance je ne savais rien avant de commencer la lecture, mais que j'avais devinée dans les dernières pages et qui ne m'a pas mise en colère. Parce que je suis bien d'accord avec elle : Si Dieu existait vraiment, les hommes seraient peut-être moins mauvais, le monde plus serein (195).

Ce que je n'ai pas compris, c'est la présence des groseilles sur le bandeau de couverture. Quelque chose m'aura échappé.

Bénédicte Belpois a passé son enfance en Algérie. Elle vit aujourd'hui en Franche-Comté où elle exerce la profession de sage-femme. Il est probable que les femmes dont elle a suivi les grossesses l'ont un peu inspirée. On trouve sous sa plume une forme d'engagement semblable à celui d'une autre femme qui exerce la même profession et qui publie des romans tout autant formidables, Agnès Ledig. Elle situe a situé l'histoire en Galice, qui est une région qu’elle fréquente depuis plusieurs années mais que je ne connais pas, ce qui donne une dimension moins réaliste que si nous étions par exemple dans l'Est de la France.

Tomás a une réputation de gros radin, quelques amis, qui à l'entendre seraient tous des crétins (p.33). On le découvre au début du livre, habitué à noyer dans l'alcool sa solitude et son incapacité à communiquer. Ses premières confidences m'ont placée en position d'empathie, si bien que j'ai "supporté" qu'il ne se conduise pas comme un gentleman lors de sa première rencontre avec Suiza, étant persuadée que sa violence ne serait que transitoire et que la bête deviendrait humaine. J'avais en tête ses déclarations précédentes :

Si je suis un mec un peu primaire, je ne suis pas le psychopathe qu'on raconte. J'ai fait comme j'ai pu, mais ça m'est tombé sur la gueule et je ne vois pas bien comment j'aurais pu agir autrement (p.14).

J'étais encore plus rugueux que les autres, parce que je m'étais construit avec le manque d'amour, et que personne n'avait été en état ou n'avait eu le temps de m'apprendre (p.25).

Le roman a beau s'intituler Suiza, peut-être parce que la jeune femme est le détonateur qui va permettre à Tomás d'évoluer, c'est surtout l'homme qui raconte l'histoire, de son point de vue, tandis qu'elle ne s'exprime que rarement, mais en quelque sorte à bon escient de manière à ce que le lecteur connaisse le fond de sa pensée.

C'est une fille simple mais pas stupide, qui a lu le Père Castor et le Grand Livre des Gnomes (p.72) et qui aura en commun avec son amoureux d'être transportée par le même morceau de guitare, Asturias, que je me souviens avoir souvent écouté en boucle quand j'étais adolescente. Il sera aussi question d'une chanson de Léonard Cohen, on ne saura pas laquelle (p.180) mais je pencherais pour Dance me to the end of love parce qu'elle est ancienne (1984) et surtout très belle.

L'écriture de Bénédicte Belpois peut être d'une crudité intense, presque masculine, quand elle décrit des scènes de sexe. Elle est aussi souvent magnifique comme un poème en prose et c'est là que le roman est bouleversant.

La vieille Josefina dira de Suiza qu'elle est une figue de Barbarie pleine d'épines au coeur sucré et doux. Les manques lui ont fait une fragilité d'oeuf, alors qu'ils t'ont donné une carapace de tortue. Elle seule sait te l'enlever sans t'arracher la peau, toi seul sais la protéger comme elle le souhaite, sans la casser. Vos deux faiblesses mises ensemble, ça fait quelque chose de solide, une petite paire d'inséparables. C'est pas souvent, mais des fois, quand tu mélanges bien deux malheurs, ça monte en crème de bonheur (p.195).

Le lecteur assiste (j'ai presque envie d'écrire "participe") à la métamorphose de l'un et de l'autre, car chacun y gagne. Tout le monde en tire bénéfice dans leur entourage. Luis, l'épicier, qui assure son chiffre d'affaires et qui explique à Tomás que nous avons oublié (les bonnes manières, la douceur ...) mais qu'on peut se souvenir, apprendre de nouveau (p. 227). Alvaro, le cafetier, auprès de qui il s'excusera d'avoir volé sa femme et qui dira d'elle qu'elle n'est pas bête, c'est juste que j'ai pas pris le temps et que ça m'arrangeait bien qu'elle soit un peu conne. Je savais bien que si je lui apprenais à se débrouiller toute seule, elle partirait (p.189).

Ramon, son employé agricole, ce vieux renard, à qui il finira par dire je t'aime comme un père. Je n'imagine pas la vie sans toi, à mes cotés. J'aurais dû te le dire depuis longtemps.
-Tu dis ça parce que tu crois que tu vas mourir, gamin ?
- Non, je dis ça parce que c'est vrai.
- (...) Tu as raison, il faut le dire avec des mots (p. 132).

Je n'ai pas pu m'empêcher de penser alors aux personnages de Delphine de Vigan dans Les Gratitudes. J'ai beaucoup aimé les échanges de confidences entre les deux hommes et la manière dont le vieux le convainc d'engager Lope, que Suiza surnomme Mon Prince, et qui saura se faire accepter et apprécier malgré toutes ses différences.

J'ai décelé la pudeur derrière les provocations de Tomás qui découvrira et comprendra le passé de maltraitance de Suiza. Quand il l'emmène voir la mer et qu'il dit Je crois que j'aurais pu dire à ce moment précis que j'étais le mec le plus heureux de la terre ... (p.135) j'ai revu cette scène où Robert Redford lave les cheveux de Meryl Streep et qu'elle lui confie tu pourrais me dire n'importe quoi, je le croirais, signifiant par là son abandon et une confiance totale. Mais à l'instar d'Out of Africa, on comprend qu'on n'est pas tout à fait dans le conte de fées car Tomás, qui supporte avec beaucoup de courage les traitements successifs de son cancer du poumon, poursuit ... si une douleur lancinante dans ma poitrine ne venait me rappeler, à intervalles réguliers, qu'on était pas là pour rigoler.

Ensemble ils auront réalisé et vécu leurs rêves. Puisque j'allais crever, il fallait bien que je fasse tout ce que je n'avais pas osé ou simplement pu faire (p.109). Et avec eux j'ai moi aussi rêvé.

Suiza de Bénédicte Belpois, Gallimard, en librairie depuis le 7 février 2019
Roman lu dans le cadre de la sélection des 68 premières fois.

1 commentaire:

Geneviève a dit…

Merci pour votre critique, qui résume ma pensée. Totalement en accord avec vous !

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