J'ai eu envie de mettre en parallèle un roman et un film pas seulement en raison du cadre historique, une guerre mondiale, mais surtout parce que ce sont deux "love stories" qui semblent impossibles et qui pourtant sont de belles histoires, surtout la seconde.
Il ne faut pas penser qu'un contexte défavorable explique un échec. La structure psychologique des personnages est déterminante. Comme dans le film Sur la route de Madison où le "devoir" est un alibi à ne pas changer de vie.
La grande différence entre Julia et Une rencontre c'est la manière dont les personnages subissent ou luttent contre le poids de l'interdit.
Commençons par le livre. J'ai surtout aimé la façon que l'auteur, Otto de Kat (pseudonyme de Jan Geurt Gaarlandt, éditeur chez Uitgeverij Balans à Amsterdam) a eu d'écrire un roman en le transformant en intrigue policière.
Je ne peux pas vous révéler son procédé mais il m'a semblé que son activité de critique littéraire a du l'influencer. Il est connu dans son pays et ses romans ont tous été favorablement accueillis et nominés pour plusieurs prix littéraires.
Il a écrit Julia en 2008. La traduction française est sortie en mars 2014.
Un dimanche après-midi, Christiaan Dudok, soixante-douze ans, est retrouvé mort par son homme à tout faire. Qu’est-ce qui a pu pousser cet homme à la vie apparemment sereine et rangée à en finir ?
En 1938, le jeune Dudok arrive de sa Hollande natale à Lübeck, en Allemagne du Nord. Il a obtenu de son père une année de répit avant de prendre la succession de l’usine familiale. Il fait la rencontre de Julia Bender, esprit libre et femme intrépide, dont il tombe éperdument amoureux. Mais les nazis sèment la terreur et Julia est pourchassée : elle disparaît après avoir conjuré Christiaan de ne pas chercher à la retrouver. Trop docile, celui-ci rentre aux Pays-Bas où, toute sa vie, il sera hanté par le souvenir persistant des occasions manquées et d’une liberté à peine entrevue.
Un roman d’amour bousculé par la guerre, où les personnages sont déchirés entre anticonformisme et soumission, entre héroïsme et lâcheté ordinaire.
C'est par toutes petites touches que l'auteur nous amène à percevoir les sentiments qui unissent les deux jeunes gens : Allait-il oser, maintenant, lui prendre la main ? (...) Il ne l'avait pas touchée, mais peut-être tout de même atteinte. (p. 27)
Le récit des événements ne suit pas l'ordre chronologique. Le procédé participe à faire monter la tension. A tenter de situer le moment où les destins ont pris une trajectoire opposée. A se prendre au jeu de la recherche du grain de sable qui, peut-être sera chassé in extremis. On connait la fin dès les premières lignes. Pourtant on a très envie de comprendre ce qui s'est réellement passé.
Ce sont les ressorts psychologiques qui retiennent le plus mon attention. Mais Otto de Kat a une manière tellement suggestive de faire vibrer les paysages en sollicitant notre odorat et notre oreille que les descriptions procurent aussi un vrai plaisir de lecture.
Julia est une femme libre mais sa volonté ne suffit pas. Elle somme Christian de quitter l'Allemagne pour rentrer en Hollande : Tu dois me promettre de prendre tout de suite le train, aujourd'hui même. Ne cherche pas à me retrouver, pars tout de suite, sinon tu vas me mettre en danger. (p. 54)
C'est le premier domino qui tombe ... La suite, je vous la laisse découvrir.
La promesse est toute autre dans le film de Patrice Leconte. Une jeune femme réalise qu'elle est éperdument amoureuse du collaborateur de son mari quand il est envoyé en mission au Mexique. Elle lui assure alors qu'à son retour elle sera à lui.
Le séjour est prévu pour deux ans. Il durera bien davantage. et comme pour Julia la question essentielle sera de savoir si le désir amoureux peut résister au temps.
Une promesse n'est pas un film de plus sur le triangle amoureux où un jeune homme abandonnerait sa gentille amoureuse pour ravir le coeur d'une femme mariée, où la femme se noierait dans un romantisme stérile et où le mari aurait le mauvais rôle.
Patrice Leconte a eu un coup de coeur pour une nouvelle écrite par Stefan Zweig en 1929. Le voyage dans le passé est une histoire d'amour contrariée sur fond de Première guerre mondiale. Elle se termine mal, en théorie. Le réalisateur a préféré aménager la fin et je lui donne raison d'avoir osé une adaptation personnelle.
Monsieur Hire, le Mari de la coiffeuse, la Veuve de Saint-Pierre, Tandem, Ridicule, les Bronzés ... le moins qu'on puisse dire est qu'il est impossible d'associer Patrice Leconte à un genre en particulier.
Il nous avait surpris en 2012 avec l'adaptation du Magasin des Suicides en film d'animation. Certains avaient adoré. J'avoue que j'avais largement préféré le livre de Jean Teulé.
Une promesse est à mon avis le film le plus abouti. Parce que les silences y sont aussi importants que les dialogues. Rien n'est dit. Tout est vécu. C'est frappant comme il a l'art de capter une émotion à travers un infime mouvement du corps ou du visage. Le non dit s'exprime par un geste, un regard, un sourire avec une douceur qui n'est jamais ennuyeuse.
Ne parlant pas un mot d'allemand, Patrice Leconte a tourné (pour la première fois) en anglais puisqu'il travaillait avec des acteurs britanniques : Alain Rickamn (Herr Hoffmeister le mari, Reagan dans le Majordome, le professeur Severus Roguedans la série des Harry Potter), Rebecca Hall (Lotte), Richard Madden (Friederich Zeitz, le secrétaire particulier, Game of Thrones), Maggie Steed (Frau Hermann, la secrétaire).
Certes les comédiens sont exceptionnels. Mais en assurant aussi le cadre (et ce n'est pas commun chez tous les réalisateurs) il place le spectateur au plus intime de la relation amoureuse au sein du trio. La lenteur devient lourde de sens et c'est très agréable d'être en symbiose avec chacun des protagonistes comme si on partageait alternativement leurs pensées.
Même quand il y a conversation c'est avec une économie parfaite et pourtant lourde de sens. Cela peut être faire la confidence du nom de son parfum, Heure bleue de Guerlain. Cette litote : Te dire quoi que tu ne savais déjà ? Ou encore la promesse dite à l'enfant, avec l'intention que la mère l'entende : Je promets que je reviendrai.
Et des années plus tard :
- je t'ai pas fait trop attendre ?
- je te préviens, ta chambre est restée la même, rien n'a changé.
- toi non plus (...) c'est comme avant (...) sauf nous.
Je ne vous dirai pas les deux dernières répliques qui à elles seules valent que vous alliez voir le film.
Julia de Otto de Kat, Libella-Maren Sell, littérature étrangère, mars 2014
Une promesse de Patrice Leconte, avec Alan Rickman, Richard Madden, Rebecca Hall
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