J'ai rencontré Marie-Magdeleine Lessana à la librairie Tschann, au 125 boulevard du Montparnasse, à Paris. C'est un lieu historique à bien des égards. Pour son implication auprès des artistes de théâtre, comme Samuel Beckett. Pour son énergie dans la mise en place de la loi sur le prix unique du livre, une spécificité française que les auteurs du monde entier nous envient.
L'équipe qui est aujourd'hui à la tête de cette librairie poursuit son travail en direction d’un lectorat fidèle à la qualité des textes. Elle défend autant la Poésie, la Littérature, les Sciences Humaines, l’Esthétique.
Rien de plus "naturel" alors pour eux que d'inviter l'auteur d'Un Théâtre de l'émotion au Mali, à présenter son ouvrage publié chez L'Harmattan.
Marie-Magdeleine Lessana y fait le récit de son expérience aux côtés d'une troupe théâtrale française partie en pays Dogon pour monter un spectacle mixant musique, mime, improvisation et texte avec des artistes africains. En France, au Mali et jusqu'à Moscou, c'est dans le choc entre tradition orale et dictat de l'écrit et au fil des palabres que les sensibilités se sont mobilisées.
Marie-Magdeleine Lessana a été membre de l'École Freudienne de Paris, dirigée par Jacques Lacan. Elle a participé à la fondation de l'École Lacanienne de Psychanalyse (1985). Elle a beaucoup publié dans le domaine de la psychanalyse. Elle a écrit notamment deux essais sur Marilyn :
Marilyn : portrait d'une apparition, éditions Bayard, 2005.
Marilyn Monroe et Arthur Miller, Au risque d'apparaître, in collectif L'amour fou, Maren Sell Éditeurs, 2006.
Elle est également romancière et lorsqu'elle décide d'accompagner une troupe de théâtre en Afrique c'est à titre privé (et bénévole) qu'elle entreprend l'aventure. Elle revendique cette position même si elle concède qu'elle ne peut pas oublier complètement quelques réflexes propres à son métier.
De fait elle livre un récit très fidèle et très lisible par un large public. Son texte devrait circuler dans les cours de théâtre. J'ai rarement eu entre les mains quelque chose d'aussi limpide et d'aussi accessible sur la création théâtrale.
Tout est né de son intérêt pour le spectacle vivant, d'une rencontre avec un comédien, de conversations émouvantes et d'une envie soudaine de partir en Afrique, dans une ville qu'elle connaissait déjà ... et d'y aller comme romancière.
On lui répondit simplement : c'est l'envie qui compte (j'entends qui conte). Elle fut acceptée d'emblée par le groupe qui ne la connaissait pas et qui ne la découvrit qu'à Roissy 3, qu'elle désigne sous le terme d'aéroport des pauvres.
Si on y va en acceptant de se débarrasser de nos clichés on rencontre quelque chose de très fort, confie-t-elle. Avec le sentiment d'assister à une fabrique, une "apparition".
Elle raconte ce qui est une forme de résidence d'auteur, un peu surprenante, non académique, dans une position d'observatrice silencieuse et intéressée qui se légitimera au fil du temps en prenant le rôle de "regard extérieur". Cette fonction n'est pas encore très courante en France même si on la remarque parfois au générique de certaines pièces. Elle est totalement banale en Allemagne.
Elle est la-bas la toubadou qui va dormir au Cheval Blanc, qui comme son nom l'indique est l'hôtel des Blancs. Elle sera quelqu'un d'étrange qui est devenu familier tout en conservant son étrangeté. Cette position lui a permis de saisir que le premier texte qui avait écrit pour être joué au Mali amenait les comédiens à entrer dans la vision de l'Afrique vue par des occidentaux. Le projet a ensuite été entièrement remanié.
C'est annoncé comme un "récit" mais c'est bien le roman de cette aventure, la version habitée de l'auteur. Sans censure ni omission. C'est toute l'Afrique que l'on y retrouve, sa beauté, ses couleurs (l'ocre en particulier), les bagages en volume débordant comme un chou-fleur sur le toit des autos, les sacs de plastique noirs comme des corbeaux accrochés aux branches par le vent, les grappes fébriles d'enfants, la chaleur, la poussière et la saleté, les maladies, l'épuisement, la mafia aéroportuaire.
L'espérance de vie n'est que de 41 ans au Mali et trois enfants sur quatre meurent du paludisme avant l'âge de deux ans. (p. 25) Quelque chose en Afrique refuse de réagir. (...) Cependant la haute technologie est là. Tout le monde a son portable, sa moto alors qu'il n'y presque pas de quoi manger, pas d'eau. (p. 72)
Marie-Magdeleine Lessana explore des questions très sérieuses autour de la langue et des divers moyens d'expression (pantomime, slam, poésie ...), de la culture orale qui n'est pas celle de l'écrit (la nôtre), de l'horreur du mensonge et de la parole inventée (même sur une scène de théâtre), de la magie et de la réalité, de la parole sacrée qui s'oppose à la parole profane, de la mythologie ... du temps qui n'est pas un chemin, ni un avenir mais un présent (parler au futur est perçu comme une arrogance), de la maladie du vent qui s'apparente à un délire de persécution.
Elle n'occulte aucun problème, aucun souci, ni aucune joie non plus.
Elle avoue avec sagesse : j'aime les questions, je ne sais pas faire les réponses.
Et pourtant, tout en se défendant d'avoir fait un livre de psychanalyse ou une étude ethnologique elle nous donne des clés pour comprendre. Par exemple en pointant qu'en Afrique tout est collectif au détriment d'un Moi.
Cette expérience l'a transformée. Elle continue d'aller beaucoup au théâtre où son regard ne faiblit pas en terme d'exigence. Le livre est dédié à Patrice Chéreau dont elle reprend de très beaux textes plus loin (p. 106) comme celui-ci : l'acteur est solitaire. il fait un pèlerinage dans le pays des mots. La définition que l'auteur nous donnait du théâtre n'est pas moins belle : le théâtre est quelque chose d'intelligent qui touche les gens là où ils sont (p. 53).
Dans la video qui suit elle parle davantage du spectacle que de son livre, témoignant bien de sa position...
Tout est né de son intérêt pour le spectacle vivant, d'une rencontre avec un comédien, de conversations émouvantes et d'une envie soudaine de partir en Afrique, dans une ville qu'elle connaissait déjà ... et d'y aller comme romancière.
On lui répondit simplement : c'est l'envie qui compte (j'entends qui conte). Elle fut acceptée d'emblée par le groupe qui ne la connaissait pas et qui ne la découvrit qu'à Roissy 3, qu'elle désigne sous le terme d'aéroport des pauvres.
Si on y va en acceptant de se débarrasser de nos clichés on rencontre quelque chose de très fort, confie-t-elle. Avec le sentiment d'assister à une fabrique, une "apparition".
Elle raconte ce qui est une forme de résidence d'auteur, un peu surprenante, non académique, dans une position d'observatrice silencieuse et intéressée qui se légitimera au fil du temps en prenant le rôle de "regard extérieur". Cette fonction n'est pas encore très courante en France même si on la remarque parfois au générique de certaines pièces. Elle est totalement banale en Allemagne.
Elle est la-bas la toubadou qui va dormir au Cheval Blanc, qui comme son nom l'indique est l'hôtel des Blancs. Elle sera quelqu'un d'étrange qui est devenu familier tout en conservant son étrangeté. Cette position lui a permis de saisir que le premier texte qui avait écrit pour être joué au Mali amenait les comédiens à entrer dans la vision de l'Afrique vue par des occidentaux. Le projet a ensuite été entièrement remanié.
C'est annoncé comme un "récit" mais c'est bien le roman de cette aventure, la version habitée de l'auteur. Sans censure ni omission. C'est toute l'Afrique que l'on y retrouve, sa beauté, ses couleurs (l'ocre en particulier), les bagages en volume débordant comme un chou-fleur sur le toit des autos, les sacs de plastique noirs comme des corbeaux accrochés aux branches par le vent, les grappes fébriles d'enfants, la chaleur, la poussière et la saleté, les maladies, l'épuisement, la mafia aéroportuaire.
L'espérance de vie n'est que de 41 ans au Mali et trois enfants sur quatre meurent du paludisme avant l'âge de deux ans. (p. 25) Quelque chose en Afrique refuse de réagir. (...) Cependant la haute technologie est là. Tout le monde a son portable, sa moto alors qu'il n'y presque pas de quoi manger, pas d'eau. (p. 72)
Marie-Magdeleine Lessana explore des questions très sérieuses autour de la langue et des divers moyens d'expression (pantomime, slam, poésie ...), de la culture orale qui n'est pas celle de l'écrit (la nôtre), de l'horreur du mensonge et de la parole inventée (même sur une scène de théâtre), de la magie et de la réalité, de la parole sacrée qui s'oppose à la parole profane, de la mythologie ... du temps qui n'est pas un chemin, ni un avenir mais un présent (parler au futur est perçu comme une arrogance), de la maladie du vent qui s'apparente à un délire de persécution.
Elle n'occulte aucun problème, aucun souci, ni aucune joie non plus.
Elle avoue avec sagesse : j'aime les questions, je ne sais pas faire les réponses.
Et pourtant, tout en se défendant d'avoir fait un livre de psychanalyse ou une étude ethnologique elle nous donne des clés pour comprendre. Par exemple en pointant qu'en Afrique tout est collectif au détriment d'un Moi.
Cette expérience l'a transformée. Elle continue d'aller beaucoup au théâtre où son regard ne faiblit pas en terme d'exigence. Le livre est dédié à Patrice Chéreau dont elle reprend de très beaux textes plus loin (p. 106) comme celui-ci : l'acteur est solitaire. il fait un pèlerinage dans le pays des mots. La définition que l'auteur nous donnait du théâtre n'est pas moins belle : le théâtre est quelque chose d'intelligent qui touche les gens là où ils sont (p. 53).
Dans la video qui suit elle parle davantage du spectacle que de son livre, témoignant bien de sa position...
Un théâtre de l'émotion au Mali, Récit de Marie-Magdeleine Lessana, aux éditions de l'Harmattan, mars 2014
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