La pièce se joue depuis le 21 septembre mais je l'ai découverte récemment et je vous la recommande sans réserve.
On ne se rend pas compte tout de suite que Danièle Lebrun est seule sur scène : elle réussit à incarner huit personnages sans artifices, en modifiant sa voix ou sa gestuelle, prouvant une fois de plus qu’elle est une grande et belle artiste que l’on est bien heureux de ne pas la voir prendre sa retraite.
Tout a commencé dans une brocante, quand Marie-Christine, pardon, Kiki, tombe en arrêt sur un masque de Beethoven qui ne la quitte pas de ses yeux implorants alors que d’autres se seraient laissées attendrir par un chien ou un chat.
Le moulage du visage du compositeur apparait en fond de scène en creux ou en plein selon l’éclairage. Étant fan absolue de Walter Wick (le photographe qui a révélé au public la couronne que forme une goutte en heurtant la surface de l’eau) je suis habituée à regarder des images avec un œil exercé. Allez faire un tour (il sera long tant c’est passionnant) sur son site et plongez-vous dans la série de ses livres Vois-tu ce que je vois. Peut-être percevrez-vous ensuite comme moi une ressemblance entre Beethoven et Eric-Emmanuel Schmitt, l’auteur de la pièce.
Armée de Ralph, un énorme lecteur-CD qui crache sans doute la musique comme un pitbull, voilà notre grand-mère indigne qui entreprend de faire découvrir son héros à la terre entière. Le résultat la désespère : elle vidange les lieux publics, ne comprend pas pourquoi son entourage est devenu sourd à cette musique et commence à réfléchir.
Danièle Lebrun bute un peu sur les mots, ce qui renforce l’émotion dégagée par les confidences. On sent poindre l’émotion sur une allusion anodine à l’âge qu’aurait eu son fils … et on commence à s’interroger sur le cataclysme qui a secoué la famille.
Mais Kiki n’est pas femme à se lamenter. Elle a de l’humour et de l’énergie à distribuer. Elle ne s’habitue pas à la médiocrité et à la connerie des adultes (comme elle le dit sans détour). On la sent plus proche des adolescents que des vieilles souches de la maison où elle est en retraite, condamnée à entrainer ses neurones sur prescription médicale.
Kiki n’accepte pas d’être en retrait du monde. Alors elle fugue. Et elle parle sans tabou de tous les travers quelle surprend autour d’elle, imaginant l’épitaphe de chacune de ses copines d’infortune des Lilas. On pourrait même dire qu’elle « balance » sans état d’âme. Depuis la stupidité des noms des maisons de retraite, puisés dans l’univers floral, jusqu’à l’entreprise commerciale d’Auschwitz.
Pour y être allée, contrainte et forcée dans le cadre d’un voyage d’étude, j’avais moi-même été choquée par le soin qu’on mettait à entretenir les baraques, terrifiée à l’idée qu’on prépare le terrain à un nouveau dictateur. Parcourir les longues allées qu’on a tous vues et revues dans des documentaires effrayants, c’est véritablement déambuler dans les pires souvenirs que s’est fabriqué l’humanité. Le silence y rappelle l’absence qui absorbe la voix des enfants qui ne devinrent pas adultes. Eric-Emmanuel Schmitt a bien raison de rappeler que la culture n’a jamais empêché la barbarie même s’il nous dit crument que Beethoven çà sent le gaz.
Il est vrai que nous rattachons tous des morceaux de musique ou des plats cuisinés à des évènements politiques ou personnels. Pour Kiki ce sont les pates à la carbonara qui ont le goût de la rupture. Pour tous le prélude de "l'Ode à la joie", 4e mouvement de la IXe symphonie est l’hymne européen et ne résonne plus du tout comme une musique d’église.
Kiki ne s’étonne pas que Fidelio, l’unique opéra de Beethoven, foute la frousse. Derrière le bon mot il ne faut pas oublier les idéaux de liberté et de fraternité qui ont toujours animé le compositeur et qui ont sans doute inspiré Eric-Emmanuel Schmitt à l’instar de ses autres pièces.
Il n’a pas été le seul. Avant lui, l'écrivain tchèque Milan Kundera avait fait du dernier Quatuor opus 135 le symbole de la nécessité, de ce qui pèse, qui a de la valeur, dans son roman intitulé L'insoutenable légèreté de l'être. La dimension philosophique traverse la pièce avec douceur : Quand tu aimes l’humain tu aimes l’humain tel qu’il devrait être. Le misanthrope aime l’humain idéal.
Même si Kiki sait parfaitement que ce n’est pas en irriguant qu’on va supprimer le désert elle ne désespère pas de changer le monde. Et vous verrez qu’elle y parvient avec une joyeuse bande dont elle est la reine.
Des performances comme celle-là réjouissent l’âme. Ne craignez pas d’affronter les territoires gelés pour venir au théâtre la Bruyère. Vous ne le regretterez pas !
On ne se rend pas compte tout de suite que Danièle Lebrun est seule sur scène : elle réussit à incarner huit personnages sans artifices, en modifiant sa voix ou sa gestuelle, prouvant une fois de plus qu’elle est une grande et belle artiste que l’on est bien heureux de ne pas la voir prendre sa retraite.
Tout a commencé dans une brocante, quand Marie-Christine, pardon, Kiki, tombe en arrêt sur un masque de Beethoven qui ne la quitte pas de ses yeux implorants alors que d’autres se seraient laissées attendrir par un chien ou un chat.
Le moulage du visage du compositeur apparait en fond de scène en creux ou en plein selon l’éclairage. Étant fan absolue de Walter Wick (le photographe qui a révélé au public la couronne que forme une goutte en heurtant la surface de l’eau) je suis habituée à regarder des images avec un œil exercé. Allez faire un tour (il sera long tant c’est passionnant) sur son site et plongez-vous dans la série de ses livres Vois-tu ce que je vois. Peut-être percevrez-vous ensuite comme moi une ressemblance entre Beethoven et Eric-Emmanuel Schmitt, l’auteur de la pièce.
Armée de Ralph, un énorme lecteur-CD qui crache sans doute la musique comme un pitbull, voilà notre grand-mère indigne qui entreprend de faire découvrir son héros à la terre entière. Le résultat la désespère : elle vidange les lieux publics, ne comprend pas pourquoi son entourage est devenu sourd à cette musique et commence à réfléchir.
Danièle Lebrun bute un peu sur les mots, ce qui renforce l’émotion dégagée par les confidences. On sent poindre l’émotion sur une allusion anodine à l’âge qu’aurait eu son fils … et on commence à s’interroger sur le cataclysme qui a secoué la famille.
Mais Kiki n’est pas femme à se lamenter. Elle a de l’humour et de l’énergie à distribuer. Elle ne s’habitue pas à la médiocrité et à la connerie des adultes (comme elle le dit sans détour). On la sent plus proche des adolescents que des vieilles souches de la maison où elle est en retraite, condamnée à entrainer ses neurones sur prescription médicale.
Kiki n’accepte pas d’être en retrait du monde. Alors elle fugue. Et elle parle sans tabou de tous les travers quelle surprend autour d’elle, imaginant l’épitaphe de chacune de ses copines d’infortune des Lilas. On pourrait même dire qu’elle « balance » sans état d’âme. Depuis la stupidité des noms des maisons de retraite, puisés dans l’univers floral, jusqu’à l’entreprise commerciale d’Auschwitz.
Pour y être allée, contrainte et forcée dans le cadre d’un voyage d’étude, j’avais moi-même été choquée par le soin qu’on mettait à entretenir les baraques, terrifiée à l’idée qu’on prépare le terrain à un nouveau dictateur. Parcourir les longues allées qu’on a tous vues et revues dans des documentaires effrayants, c’est véritablement déambuler dans les pires souvenirs que s’est fabriqué l’humanité. Le silence y rappelle l’absence qui absorbe la voix des enfants qui ne devinrent pas adultes. Eric-Emmanuel Schmitt a bien raison de rappeler que la culture n’a jamais empêché la barbarie même s’il nous dit crument que Beethoven çà sent le gaz.
Il est vrai que nous rattachons tous des morceaux de musique ou des plats cuisinés à des évènements politiques ou personnels. Pour Kiki ce sont les pates à la carbonara qui ont le goût de la rupture. Pour tous le prélude de "l'Ode à la joie", 4e mouvement de la IXe symphonie est l’hymne européen et ne résonne plus du tout comme une musique d’église.
Kiki ne s’étonne pas que Fidelio, l’unique opéra de Beethoven, foute la frousse. Derrière le bon mot il ne faut pas oublier les idéaux de liberté et de fraternité qui ont toujours animé le compositeur et qui ont sans doute inspiré Eric-Emmanuel Schmitt à l’instar de ses autres pièces.
Il n’a pas été le seul. Avant lui, l'écrivain tchèque Milan Kundera avait fait du dernier Quatuor opus 135 le symbole de la nécessité, de ce qui pèse, qui a de la valeur, dans son roman intitulé L'insoutenable légèreté de l'être. La dimension philosophique traverse la pièce avec douceur : Quand tu aimes l’humain tu aimes l’humain tel qu’il devrait être. Le misanthrope aime l’humain idéal.
Même si Kiki sait parfaitement que ce n’est pas en irriguant qu’on va supprimer le désert elle ne désespère pas de changer le monde. Et vous verrez qu’elle y parvient avec une joyeuse bande dont elle est la reine.
Des performances comme celle-là réjouissent l’âme. Ne craignez pas d’affronter les territoires gelés pour venir au théâtre la Bruyère. Vous ne le regretterez pas !
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