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jeudi 19 septembre 2019

Ursula Burke expose A False Dawn (Un faux espoir) au Centre Culturel Irlandais

Je ne connaissais pas le Centre Culturel Irlandais qui se trouve derrière le Panthéon, ... au 5 rue des Irlandais … Sa programmation culturelle et le nombre impressionnants d’activités qu’il propose m'ont séduite.

Pour commencer je voudrais attirer votre attention sur l’exposition présentée en ce moment en accès libre et jusqu’au 27 octobre. 

Elle s’intitule A False Dawn (Un faux espoir) et présente les oeuvres d’une assez jeune artiste irlandaise, Ursula Burke, que j’ai eu la chance de rencontrer et qui dénonce les abus de pouvoir dans de nombreux domaines de la société occidentale et des systèmes politiques, à commencer bien entendu par son pays, l'Irlande.

Ursula Burke a conçu une exposition qu'elle a voulu immersive et qui combine de manière inédite le dessin, la broderie et la sculpture en porcelaine. Tout est présenté dans une seule immense pièce dont les murs ont été peints spécialement, avec sur trois cotés et de haut en bas des coulures de peinture.

On dirait la photocopie de la photocopie d’un original dont les couleurs se seraient fondues en une seule. C'est la sixième fois qu'elle réalise ce dispositif, initialement peint en noir et blanc, mais l’artiste a choisi cette fois le bleu de Prusse et le résultat est vraiment intéressant. Cette couleur évoque aussi bien un cataclysme de l’ordre de l’inondation qu’un désespoir qui aurait provoqué des flots de larmes.

Le principe du mural est plutôt "naturel" à l'artiste qui a l'habitude d'en voir partout en Irlande du Nord aussi bien à l'initiative des unionistes comme des opposants. Cette oeuvre-ci sera aussi temporaire que les précédentes.
La pièce majeure occupe le quatrième mur, qui est celui qui fait face à l’entrée. Elle y revisite la Villa Livia, une fresque romaine située au musée du Palazzo Massimo à Rome. C'était à l'origine une chambre semi-souterraine, probablement pour les banquets d'été grâce à sa fraîcheur, dans la Villa suburbaine de Livia Drusilla, épouse d'Auguste (près de la Prima Porta). L'oeuvre originale, datée des années 30-20 avant J.-C., révèle un jardin verdoyant, intemporel et exotique, et présente sous son meilleur jour une grande variété de plantes et d'oiseaux, dont pins, chênes, grenades, myrtes, lauriers roses, dattiers, arbousiers, lauriers, buis, cyprès, lierre et de nombreuses fleurs : coquelicots, chrysanthèmes, camomille ... Le résultat fait penser à des scènes de toiles de Jouy, en raison de son monochromisme, de la finesse des détails, et de l’univers bucolique et végétal. L'emploi de la bichromie apporte cependant une note dramatique. Le résultat demeure foisonnant mais la tristesse domine sur l’exubérance.

Parmi les feuillages de la fresque, apparaissent des mains gantées qui tiennent des miroirs reflétant le parlement de Stormont, siège du gouvernement nord-irlandais suspendu depuis janvier 2017. La main coupée rouge est en Irlande du Nord le symbole officiel des unionistes. Il figure sur le drapeau. Mais c’est aussi un signe provocateur avec lequel on peut marquer un territoire. On remarquera avec émotion la petite main coupée sur une sculpture.
Augury of the Birds (L’augure des oiseaux, tel est son nom) devient la toile de fond des sculptures blessées et voilées qui sont exposées dans la pièce et qui, bien entendu, font référence aux enjeux de pouvoirs au sein de la société post–conflit en Irlande du Nord. Mais toutes ces œuvres trouvent également leur écho dans une multitude de situations à l’échelle internationale.

Elle présente aussi des pièces brodées en rapport avec les abus de pouvoir dans les sphères sociale et politique. Le recours à la broderie artisanale laissera croire à un objet décoratif alors que le geste est éminemment politique, et nous encouragera à questionner nos certitudes.
Les points sont disposés de manière désordonnée, en staccato, à l’intérieur du cadre à broder qui est un symbole médiéval. Ils contrastent ainsi avec l’utilisation minimaliste et contrôlée des couleurs des fils qui s’alignent et pendent jusqu’au sol. Les personnages se disputent une bataille effrénée pour le pouvoir contenue à l’intérieur du cadre mais celui ci, c’est inévitable, va se dissoudre et tomber, à l’instar de ces fils lestés de plomb. L’artiste invite le spectateur à le regarder de face, bras tendus, dans une attitude de supplication.

Ci-dessus elle reproduit une dispute entre des hommes politiques au parlement ukrainien à partir d'une vraie image glanée sur Google Search, dans la lignée de l’approche réaliste du Caravage, qui trouvait ses modèles dans la rueUrsula Burke est fortement influencée par les conventions et l’esthétique des peintures d’artistes baroques tels que le Caravage et Artemisia Gentileschi.
Historiquement, chaque dynastie impériale, en particulier chez les Romains, cherche à accentuer certains de ses traits afin de légitimer son autorité. Façonnées dans du parian, une porcelaine connue pour sa capacité à imiter les sculptures de marbre de l’Antiquité, les œuvres d’Ursula Burke font appel à des tropes visuels et aux ultimes fragments de la tradition classique. Loin d’idolâtrer l’héroïque ou le puissant, son travail tend à se saisir du côté le plus sombre de la révolution et du conflit en donnant forme à la violence capturée à un instant précis. Encore réalisée à partir de photos trouvées sur Internet. Cette frise en broderie 2016-2017 intitulée The Politicians en est un nouvel exemple.
Plusieurs pièces associent porcelaine et travail textile, revisitant des œuvres contemporaines, telle une housse de coussin tapissier du musée de Cluny, à la manière d’une sculpture. En effet, l'artiste a été très marquée par la résidence qu’elle a faite ici et qui lui a permis de découvrir le musée de Cluny. Elle présente une nouvelle facette de son travail qui désormais associe tapisserie et porcelaine dans une même oeuvre. On reconnaîtra en plusieurs endroits le motif de la licorne dont elle avoue qu’il est devenu une obsession.

Sur cette oeuvre la percée du tendon d’Achille témoigne de l’insécurité de l’emploi qui marque la vie de tous ceux qui subissent la flexibilité imposée par le monde de l’emploi depuis les années 70 et qui a créé une nouvelle classe sociale, caractérisée par la précarité.
On remarque sur cette oeuvre, intitulée Truncheon (Porcelaine, housse de coussin du Musée de Cluny, fil à broder, ruban - 2019) que l’œil de la femme est gonflé par un hématome, provoqué par un coup reçu par la matraque recouverte comme par une housse d’un coussin tapissier. Cette matraque est bien entendu symbolique de la manière dont les gouvernements usent et abusent du pouvoir. Cette sculpture intitulée Trucheon fait penser au travail de Bernini. L’artiste veut nous alerter sur les effets sur l’individu de la montée des extrémistes de droite partout dans le monde.
Presque chaque sculpture est couverte d'un voile, qui suggère les masques funéraires et qui rappelle combien c'était un challenge pour les sculpteurs sur marbre de représenter une vierge voilée. Il n'y a pas loin du voile à la cagoule ... ( qui est très net sur Balaclava Bust - Porcelaine - 2014, non photographiée) qu’on associe immédiatement à l’IRA. Elle était utilisée par les terroristes des deux bords.Sur une de ses sculptures c'est le visage de sa fille, Daisy qu’elle a représenté.
Ayant longtemps vécu à Belfast, l’artiste s’appuie souvent sur le contexte nord-irlandais pour aborder de manière critique des situations internationales semblables. Notre identité nous est donnée à la naissance. Mais un irlandais né à Belfast ne se sent pas plus d'appartenance à l'Irlande qu'au Royaume-Uni. Le bébé a beau (sur la sculpture ci-dessus) serrer un drapeau ... son identité est fluctuante comme pour sa propre fille entre wilsh et britisth, marquée par la possession de deux passeports.
La plupart des sculptures semblent anodines mais à y regarder de près elles sont touchantes, comme avec cette petite main coupée qui apparait sur cette sculpture.

Levons les yeux et regardons Augur (Porcelaine, laine polaire, yeux en verre, polystyrène, poutre en bois, chaîne en acier - 2019). Il scrute le ciel pour tenter de lire ce qui va advenir. Mais comment disposer de toute sa clairvoyance quand on a le crâne écrasé contre une poutre ? Le pull irlandais est un marqueur bien connu des touristes. Il est ici suffocant. Les yeux rappellent les pierres précieuses qu’on plaçait autrefois sur les bronzes, et qui étaient régulièrement volées.
Travaillant aussi bien la porcelaine que la broderie ou la peinture murale, Ursula Burke témoigne de son appropriation d’une esthétique profondément ancrée dans la tradition classique qu'elle réinsère dans notre époque contemporaine pour créer une passerelle conceptuelle entre un "idéal classique" et la "réalité " de la société post-conflit en Irlande du Nord, entre la fiction et la vérité.

Cette exposition parvient ainsi à explorer le thème de l’insécurité, un mal qui devient universel dans une société civile appauvrie, de plus en plus instable, où il est difficile de survivre et dans laquelle des solutions personnelles sont prescrites afin de résoudre des problèmes mondiaux. A False Dawn évoque l’essor de nouvelles politiques progressistes et les faux espoirs qui peuvent les accompagner.
Le Centre culturel dispose aussi d’une bibliothèque ouverte du lundi au vendredi de 14 à 18 heures (20 h. le mercredi). Entrée libre, accès au jardin, elle devient une bibliothèque en plein air puisqu’on peut y emporter un ouvrage et le lire au soleil ou à l’ombre des arbres.
Et puis aussi la magnifique Bibliothèque patrimoniale du XVIII° siècle et sa collection riche de quelque 8000 ouvrages, parmi lesquels trois trésors, que sont trois manuscrits médiévaux enluminés, dont le plus ancien date de 1470. Intégralement numérisés et accessibles depuis le site, ceux-ci méritent également d’être admirés de près.

La Chapelle Saint Patrick, singulière chapelle du XVIII° qui est utilisée pour des offices religieux mais aussi comme salle de concert. Je vous invite donc à consulter le site pour tout savoir de ce qui s’y fait.

A False Dawn, exposition d'Ursula Burke dans le cadre de la Semaine des cultures étrangères du FICEP
Du 21 septembre au 27 octobre 2019 - entrée libre
Du mardi au dimanche de 14 heures à 18h (nocturne le mercredi jusqu’à 20 heures) – fermé le lundi
Nuit Blanche le samedi 5 octobre de 20h à minuit
Centre Culturel Irlandais
5 rue des Irlandais – 75005 Paris – France
www.centreculturelirlandais.com
Tél : 01 58 52 10 34 / 30

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