Second jour de compétition pour moi au Festival Paysages de Cinéastes avec au programme Papicha, Adam et Nuestras Madres. Papicha recevra trois Prix (du Grand Jury, du Public, et de la Jeunesse). Il sortira très bientôt en salles, le 9 octobre 2019.
Tout en respectant la contrainte de retenir uniquement des longs-métrages qui ne sont pas encore sortis en salle la sélection officielle a majoritairement présenté des films qui ont en commun de célébrer une forte pulsion de vie quelle que soit la situation de crise.
Des trois films dont je veux parler aujourd'hui Papicha semble le plus moderne alors que l'action se situe il y a trente ans dans l'Algérie des années 90, à l'époque de la montée de l'intolérance et de la multiplication des attentats, quand l'Algérie est alors une grande salle d'attente où rien ne s'obtient facilement, que ce soit un logement, un travail et même des médicaments.
Nedjma, 18 ans, étudiante habitant la Cité universitaire, rêve de devenir styliste. A la nuit tombée, elle se faufile à travers les mailles du grillage de la Cité avec ses meilleures amies pour rejoindre en taxi clandestin la boîte de nuit où elle vend ses créations aux " papichas ", jolies jeunes filles algéroises. La situation politique et sociale du pays ne cesse de se dégrader. Refusant cette fatalité, Nedjma décide de se battre pour sa liberté en organisant un défilé de mode, bravant ainsi tous les interdits. Y compris celui d'un rassemblement de femmes un vendredi.
Mounia Meddour s'est librement inspirée de faits réels, ce qui donne une force insensée à sa démonstration et on sort bouleversé de la projection. Elle montre des jeunes filles éprises de liberté mais qui veulent rester en Algérie et qui n'ont pas le rêve de l'expatriation. Elles font tout pour vivre "normalement". Elles sont capables de tout, y compris de jouer au football à pieds nus, sur un air d'opéra (magnifique Vivaldi, Il Giustino, Sento in senso). Elles s'habillent comme bon leur semble, malgré les problèmes encourus en assumant le paradoxe : se tirer pour se construire ou prendre une balle.
La réalisatrice, qui dédie son film à la mémoire de son père, pose cette question au spectateur. La réponse est dure à entendre quand on voit comment sont les rescapées. Elle rend hommage à ces jeunes filles qui voudraient vivre libres, coûte que coûte et malgré le danger, sans devoir quitter le pays qu'elles aiment et en démontrant que vivre libre ce n'est pas lutter contre les autres.
J'ai beaucoup apprécié Papicha, mais j'avais été très touchée par la sensibilité de Maryam Touzani (une autre femme et on notera combien leur talent explose en cette rentrée si on considère aussi Tu mérites un amour et Portrait d'une jeune fille en feu).
Avec Adam, elle nous donne à voir un Maroc d'aujourd'hui (alors que peu de choses nous signalent que l'action se passe de nos jours) complètement enkysté dans les tabous où une mère célibataire n'a pas d'autre choix, a priori, que d'abandonner son enfant. Nous voilà confrontés encore une fois, après Ceux qui travaillent, à un cas de conscience car Samia pense que garder son enfant équivaut à le condamner.
Nous sommes pourtant à Casablanca, et pas dans un village reculé. La Médina est admirablement filmée avec son dédale de rues, les bruits d'une vie sociale qui pulse tout au long de la journée. Alors que Samia (Nisrin Erradi) épuisée, erre à la recherche d'un travail ... et d'un gite, se faisant rembarrer de tous dès lors qu'on se rend compte de la taille de son ventre, Abla (Lubna Azabal) prépare la pâte pour réaliser les pâtisseries traditionnelles qu'elle vend dans son échoppe, comme on le faisait au Moyen-Age. Je l'écris sans me moquer. Car sa façon de vivre est touchante. Son atelier donne directement sur la rue et communique avec la maison où elle élève seule, depuis la mort de son mari, une fillette de 8 ans, qui est d'une vivacité incroyable.
Autant la mère est comme figée derrière le masque d'une travailleuse, autant l'enfant est animée par un sourire lumineux. Mais toutes deux sont unies par un immense amour. Peut-être Samia aura-t-elle perçu la puissance de ce sentiment. Pour le moment c'est la perspective de proposer son savoir-faire qui la motive à entrer en contact avec Abla qui, dans un premier temps la repousse : Tu n'as pas à m'aider, juste à partir .... Elle ajoutera un instant plus tard : je ne veux pas de problème.
On remarque Samia acquiescer d'un hochement de tête. Pourtant elle obtiendra le droit de rester quelques jours, le temps de souffler pour mieux repartir. Le temps surtout de démontrer son immense compétence dans la préparation de ses spécialités. Les plans sur les mains qui pétrissent la pâte dégagent de la noblesse autant qu'une scène de prière. On remarquera qu'elle aussi (comme Antoine Russbach) filme beaucoup de dos.
Petit à petit, et grâce à la complicité active de la petite fille, chacune des deux apprivoisera l'autre et lui apportera un souffle de liberté. Car, chacune à leur façon s'est emmurée dans ce qu'elle croit être son devoir.
Abla revivra sa propre grossesse à travers celle de Samia. Rien n'est dit sur les circonstances de la mort de son mari, peut-être a-t-il connu un accident de pêche (on entend plusieurs fois un cri de mouette). On remarque que les femmes sont exclues du cérémonial de l'enterrement, ce qui a du être extrêmement traumatisant pour Abla (qui était alors peut-être enceinte ...) : peu de choses nous appartiennent vraiment, dira-t-elle.
La pâtisserie est devenue son art, et ce sera difficile de le partager avec Samia, mais source de bonheur aussi. Pour les gourmands je précise que les Msemmens sont des crêpes feuilletées à base de semoule. La réalisation de la Rziza (petit turban) ou Razzat al cadi (turban du juge) est très complexe. Elle est préparée à base d’une pâte à Rghayef (pâte à crêpes feuilletées). Il faut savoir filer très finement la pâte en l'enroulant autour de la main fermée, puis l'aplatir pour la cuire à la poêle dans un mélange de beurre et d’huile. Ces crêpes, qui ressemblent à des nids, sont consommées au petit déjeuner ou au goûter avec du thé à la menthe mais elles sont aussi servies au déjeuner ou au dîner, arrosées d’une sauce à la volaille ou à la viande. Voici un lien vers une recette pour celles et ceux qui voudraient se lancer.
Maryam Touzani est autant scénariste que réalisatrice. Elle a écrit ce film avec son conjoint le réalisateur Nabil Ayouch. Doit-on y voir une explication pour justifier la douceur et la justesse des points de vue qui sont démontrés sans s'affronter. Le personnage de Slimani (Aziz Hattab) amoureux transi d'Abla est lui aussi très touchant.
On s'attache vite à chacun que l'on rêve de voir vivre en famille autour de ce petit Adam qui sera peut-être le premier (homme) d'une lignée tolérante envers des femmes qui auront conquis leur liberté et leur égalité. La maternité est parfaitement représentée dans ce qu'elle a de positif et de contraignant aussi. Voilà un film simple, efficace jusqu'au bout, essentiel. C'est un énorme coup de coeur. Date de sortie de ce film franco-belge et marocain : le 4 mars 2020.
L'action de Nuestras Madres se situe en 2018 au Guatemala alors que le pays vit au rythme du procès des militaires à l’origine de la guerre civile qui a décimé la moitié des habitants.
Ernesto, jeune anthropologue à la Fondation médico-légale, travaille à l’identification des disparus. Son travail consiste à aller déterrer les morts pour les rendre à leur famille qui leur accordera une sépulture digne, et qui pourra encaisser une indemnisation. Avant cela il faut enchainer les témoignages et les vérifier car la souffrance exprimée n'est pas garante de vérité.
Un jour, à travers le récit d’une vieille femme, il croit déceler une piste qui lui permettra de retrouver la trace de son père, guérillero disparu pendant la guerre. Contre l’avis de sa mère, il plonge à corps perdu dans le dossier, à la recherche d'une vérité qui lui permettra peut-être d'entreprendre un travail de résilience.
Avec un scénario où la petite histoire rejoint la grande, César Díaz réussit à nous captiver en éclairant un pan méconnu de l'histoire de son pays. Le film sortira en salles le 8 avril 2020.
Tout en respectant la contrainte de retenir uniquement des longs-métrages qui ne sont pas encore sortis en salle la sélection officielle a majoritairement présenté des films qui ont en commun de célébrer une forte pulsion de vie quelle que soit la situation de crise.
Des trois films dont je veux parler aujourd'hui Papicha semble le plus moderne alors que l'action se situe il y a trente ans dans l'Algérie des années 90, à l'époque de la montée de l'intolérance et de la multiplication des attentats, quand l'Algérie est alors une grande salle d'attente où rien ne s'obtient facilement, que ce soit un logement, un travail et même des médicaments.
Nedjma, 18 ans, étudiante habitant la Cité universitaire, rêve de devenir styliste. A la nuit tombée, elle se faufile à travers les mailles du grillage de la Cité avec ses meilleures amies pour rejoindre en taxi clandestin la boîte de nuit où elle vend ses créations aux " papichas ", jolies jeunes filles algéroises. La situation politique et sociale du pays ne cesse de se dégrader. Refusant cette fatalité, Nedjma décide de se battre pour sa liberté en organisant un défilé de mode, bravant ainsi tous les interdits. Y compris celui d'un rassemblement de femmes un vendredi.
Mounia Meddour s'est librement inspirée de faits réels, ce qui donne une force insensée à sa démonstration et on sort bouleversé de la projection. Elle montre des jeunes filles éprises de liberté mais qui veulent rester en Algérie et qui n'ont pas le rêve de l'expatriation. Elles font tout pour vivre "normalement". Elles sont capables de tout, y compris de jouer au football à pieds nus, sur un air d'opéra (magnifique Vivaldi, Il Giustino, Sento in senso). Elles s'habillent comme bon leur semble, malgré les problèmes encourus en assumant le paradoxe : se tirer pour se construire ou prendre une balle.
La réalisatrice, qui dédie son film à la mémoire de son père, pose cette question au spectateur. La réponse est dure à entendre quand on voit comment sont les rescapées. Elle rend hommage à ces jeunes filles qui voudraient vivre libres, coûte que coûte et malgré le danger, sans devoir quitter le pays qu'elles aiment et en démontrant que vivre libre ce n'est pas lutter contre les autres.
J'ai beaucoup apprécié Papicha, mais j'avais été très touchée par la sensibilité de Maryam Touzani (une autre femme et on notera combien leur talent explose en cette rentrée si on considère aussi Tu mérites un amour et Portrait d'une jeune fille en feu).
Avec Adam, elle nous donne à voir un Maroc d'aujourd'hui (alors que peu de choses nous signalent que l'action se passe de nos jours) complètement enkysté dans les tabous où une mère célibataire n'a pas d'autre choix, a priori, que d'abandonner son enfant. Nous voilà confrontés encore une fois, après Ceux qui travaillent, à un cas de conscience car Samia pense que garder son enfant équivaut à le condamner.
Nous sommes pourtant à Casablanca, et pas dans un village reculé. La Médina est admirablement filmée avec son dédale de rues, les bruits d'une vie sociale qui pulse tout au long de la journée. Alors que Samia (Nisrin Erradi) épuisée, erre à la recherche d'un travail ... et d'un gite, se faisant rembarrer de tous dès lors qu'on se rend compte de la taille de son ventre, Abla (Lubna Azabal) prépare la pâte pour réaliser les pâtisseries traditionnelles qu'elle vend dans son échoppe, comme on le faisait au Moyen-Age. Je l'écris sans me moquer. Car sa façon de vivre est touchante. Son atelier donne directement sur la rue et communique avec la maison où elle élève seule, depuis la mort de son mari, une fillette de 8 ans, qui est d'une vivacité incroyable.
Autant la mère est comme figée derrière le masque d'une travailleuse, autant l'enfant est animée par un sourire lumineux. Mais toutes deux sont unies par un immense amour. Peut-être Samia aura-t-elle perçu la puissance de ce sentiment. Pour le moment c'est la perspective de proposer son savoir-faire qui la motive à entrer en contact avec Abla qui, dans un premier temps la repousse : Tu n'as pas à m'aider, juste à partir .... Elle ajoutera un instant plus tard : je ne veux pas de problème.
On remarque Samia acquiescer d'un hochement de tête. Pourtant elle obtiendra le droit de rester quelques jours, le temps de souffler pour mieux repartir. Le temps surtout de démontrer son immense compétence dans la préparation de ses spécialités. Les plans sur les mains qui pétrissent la pâte dégagent de la noblesse autant qu'une scène de prière. On remarquera qu'elle aussi (comme Antoine Russbach) filme beaucoup de dos.
Petit à petit, et grâce à la complicité active de la petite fille, chacune des deux apprivoisera l'autre et lui apportera un souffle de liberté. Car, chacune à leur façon s'est emmurée dans ce qu'elle croit être son devoir.
Abla revivra sa propre grossesse à travers celle de Samia. Rien n'est dit sur les circonstances de la mort de son mari, peut-être a-t-il connu un accident de pêche (on entend plusieurs fois un cri de mouette). On remarque que les femmes sont exclues du cérémonial de l'enterrement, ce qui a du être extrêmement traumatisant pour Abla (qui était alors peut-être enceinte ...) : peu de choses nous appartiennent vraiment, dira-t-elle.
La pâtisserie est devenue son art, et ce sera difficile de le partager avec Samia, mais source de bonheur aussi. Pour les gourmands je précise que les Msemmens sont des crêpes feuilletées à base de semoule. La réalisation de la Rziza (petit turban) ou Razzat al cadi (turban du juge) est très complexe. Elle est préparée à base d’une pâte à Rghayef (pâte à crêpes feuilletées). Il faut savoir filer très finement la pâte en l'enroulant autour de la main fermée, puis l'aplatir pour la cuire à la poêle dans un mélange de beurre et d’huile. Ces crêpes, qui ressemblent à des nids, sont consommées au petit déjeuner ou au goûter avec du thé à la menthe mais elles sont aussi servies au déjeuner ou au dîner, arrosées d’une sauce à la volaille ou à la viande. Voici un lien vers une recette pour celles et ceux qui voudraient se lancer.
Maryam Touzani est autant scénariste que réalisatrice. Elle a écrit ce film avec son conjoint le réalisateur Nabil Ayouch. Doit-on y voir une explication pour justifier la douceur et la justesse des points de vue qui sont démontrés sans s'affronter. Le personnage de Slimani (Aziz Hattab) amoureux transi d'Abla est lui aussi très touchant.
On s'attache vite à chacun que l'on rêve de voir vivre en famille autour de ce petit Adam qui sera peut-être le premier (homme) d'une lignée tolérante envers des femmes qui auront conquis leur liberté et leur égalité. La maternité est parfaitement représentée dans ce qu'elle a de positif et de contraignant aussi. Voilà un film simple, efficace jusqu'au bout, essentiel. C'est un énorme coup de coeur. Date de sortie de ce film franco-belge et marocain : le 4 mars 2020.
L'action de Nuestras Madres se situe en 2018 au Guatemala alors que le pays vit au rythme du procès des militaires à l’origine de la guerre civile qui a décimé la moitié des habitants.
Ernesto, jeune anthropologue à la Fondation médico-légale, travaille à l’identification des disparus. Son travail consiste à aller déterrer les morts pour les rendre à leur famille qui leur accordera une sépulture digne, et qui pourra encaisser une indemnisation. Avant cela il faut enchainer les témoignages et les vérifier car la souffrance exprimée n'est pas garante de vérité.
Un jour, à travers le récit d’une vieille femme, il croit déceler une piste qui lui permettra de retrouver la trace de son père, guérillero disparu pendant la guerre. Contre l’avis de sa mère, il plonge à corps perdu dans le dossier, à la recherche d'une vérité qui lui permettra peut-être d'entreprendre un travail de résilience.
Avec un scénario où la petite histoire rejoint la grande, César Díaz réussit à nous captiver en éclairant un pan méconnu de l'histoire de son pays. Le film sortira en salles le 8 avril 2020.
Beaucoup d'autres films sont encore programmés pendant cette édition : l’histoire très touchante de Fahim, Hors normes le dernier d’Eric Toledano et d’Olivier Nakache, tous deux en avant-premières.
Vous aurez la possibilité de voir aussi, hors compétition trois autres longs métrages où l’enfance est à l’honneur : La vie scolaire de Grand Corps Malade, Ma famille et le loup et puis aussi l’histoire si touchante du jeune petit footballeur Théo dans Fourmi.
Je reviendrai sur la plupart, également sur les court-métrages qui est un genre hélas peu représenté dans les salles de cinéma.
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