Gilles Paris emmenait le lecteur promener au bord de la mer dans son précédent livre, L'été des lucioles. Nous étions dans le sud de la France, sur le chemin des douaniers. Ses héros avaient grandi, par rapport à ceux qui se débattent dans Autobiographie d'une courgette mais nous restions dans un univers accessible à la jeunesse.
On passe un cap avec Le vertige des falaises qui, pour moi, se situe franchement dans l'univers des adultes même si une partie du récit nous est raconté à travers les yeux d'une jeune héroïne.
Marnie est en effet au coeur de l'intrigue mais les personnages dits secondaires ont toute leur place. A tel point qu'on peut parler de roman choral car le narrateur conduit le récit en se plaçant du point de vue de chacun, si bien qu'on progresse dans la résolution de l'intrigue à mesure qu'on les accompagne.
Le challenge était d'importance pour Gilles qui a commencé ce livre alors que Courgette entrait en production. Ce conte de fées incroyable (c'est lui qui le dit) a dopé son énergie créatrice et le résultat est là, très abouti.
L'action se passe dans un lieu qui n'est jamais nommé, dans une Ile dont le nom est indéfini derrière la majuscule, autour d'une maison de verre qui surplombe les falaises. A chacun de projeter le décor selon ses propres souvenirs; pour moi ce fut Belle-Ile, en particulier pour les portions découpées des aiguilles de Port Coton ou la Grotte de l'apothicaire. Le paysage que décrit l'auteur nous retient nous aussi comme des otages volontaires (p. 41). Olivia, la grand-mère Olivia la ressent comme une ancre (p. 11). J'y disparaîtrai avec nos vilains secrets.
L'emploi de "nos" signifie que les secrets sont nombreux et partagés sur ce territoire. L'indice est mince mais il compte. Car nous sommes dans un registre plutôt policier. Le roman se poursuit dans la même atmosphère, un peu hitchcockienne, et Gilles Paris s'en expliquera -ce qui est une excellente idée- à la toute fin (p. 247) mais il n'est pas essentiel de le savoir pour entreprendre la lecture.
On ne sait pas davantage à quelle période l'action se déroule mais on déduira (p.135) que nous sommes après les années soixante alors qu'on voyait jusque là tous les protagonistes vivre au XIX° siècle. Notre imagination est fertile. La description de Prudence évoque pour moi la détermination de Babette ramenant les provisions du futur festin sur son île battue par les vents.
Et quand, plus loin, je ressens une similitude avec l'écriture de Karen Blixen je ne m'étonne pas puisque c'est elle qui a inspiré le réalisateur du film le Festin de Babette. Il y a chez Gilles Paris quelque chose de la nostalgie qui émane des livres de cette auteure danoise. D'autres trouveront une parenté avec Agatha Christie et nous avons sans doute tous raison.
Marnie exprime très vite un mauvais pressentiment alors que on sait déjà sa mère malade (p. 40). On s'inquiète de penser que le pire n'est jamais sur. La jeune Marnie est une drôle de fille, une chipie pourrait-on dire, mais le personnage va révéler une maturité rare pour son âge.
L'héroïne est orpheline. On reconnait bien là un des thèmes récurrents dans l'oeuvre de Gilles Paris. L'auteur place (comme toujours) à ses cotés un tuteur, qui ici est sa grand mère, Olivia, ressentie par l'enfant comme l'arbre centenaire sur qui tous les orages se sont abattus sans arracher la moindre écorce. (p. 96)
Aucune famille n'est "normale" sur cette Ile. Marnie se vit comme une bâtarde qui sait tout (comme tous les enfants) et le non-dit dans lequel on l'élève nourrit sa révolte. D'autant plus dans une famille où l'on ne montre pas son chagrin (p. 62) et où le mensonge devient une vertu.
Gilles Paris dénonce une nouvelle fois les ravages de l'alcoolisme, et les violences familiales. Il s'exprime par la voix d'Olivia : j'espère que la plupart des femmes battues finissent par s'inventer un monde qui, s'il n'atténue pas la douleur des coups, offre tout de même un abri sous lequel elles peuvent s'échapper un moment. (p. 79)
Et, plus loin (p. 141) la violence est une maladie de l'âme, que elle soit sous l'emprise de l'alcool ou de la colère.
Une forme de romantisme émerge souvent. On retrouve aussi des occasions de résilience, sous une plume acérée, mais fondamentalement optimiste. Ainsi la fleuriste Agatha rapporte (p. 53) les paroles de Rose : les accrocs de la vie rendent les instants de bonheur plus intenses.
Tous les ingrédients sont réunis pour qu'on dévore le roman comme un policier. Nous arpentons le décor, très minéral et pourtant fleuri à la recherche nous aussi de cette sorte de vertige comme une fleur qui cherche l'eau mais pas un vase. ( p. 75)
L'auteur a le sens des formules, parfois graves, parfois légères, avec un humour qui ne se cache pas. Les phrases ont du rythme. Les chapitres sont courts. Chacun serait presque une photographie légendée. On éprouve la sensation à la fin d'avoir feuilleté un album de famille qui aurait raconté l'histoire d'une vie.
Le vertige des falaises de Gilles Paris, Plon, en librairie depuis le 5 avril 2017
Le challenge était d'importance pour Gilles qui a commencé ce livre alors que Courgette entrait en production. Ce conte de fées incroyable (c'est lui qui le dit) a dopé son énergie créatrice et le résultat est là, très abouti.
L'action se passe dans un lieu qui n'est jamais nommé, dans une Ile dont le nom est indéfini derrière la majuscule, autour d'une maison de verre qui surplombe les falaises. A chacun de projeter le décor selon ses propres souvenirs; pour moi ce fut Belle-Ile, en particulier pour les portions découpées des aiguilles de Port Coton ou la Grotte de l'apothicaire. Le paysage que décrit l'auteur nous retient nous aussi comme des otages volontaires (p. 41). Olivia, la grand-mère Olivia la ressent comme une ancre (p. 11). J'y disparaîtrai avec nos vilains secrets.
L'emploi de "nos" signifie que les secrets sont nombreux et partagés sur ce territoire. L'indice est mince mais il compte. Car nous sommes dans un registre plutôt policier. Le roman se poursuit dans la même atmosphère, un peu hitchcockienne, et Gilles Paris s'en expliquera -ce qui est une excellente idée- à la toute fin (p. 247) mais il n'est pas essentiel de le savoir pour entreprendre la lecture.
On ne sait pas davantage à quelle période l'action se déroule mais on déduira (p.135) que nous sommes après les années soixante alors qu'on voyait jusque là tous les protagonistes vivre au XIX° siècle. Notre imagination est fertile. La description de Prudence évoque pour moi la détermination de Babette ramenant les provisions du futur festin sur son île battue par les vents.
Et quand, plus loin, je ressens une similitude avec l'écriture de Karen Blixen je ne m'étonne pas puisque c'est elle qui a inspiré le réalisateur du film le Festin de Babette. Il y a chez Gilles Paris quelque chose de la nostalgie qui émane des livres de cette auteure danoise. D'autres trouveront une parenté avec Agatha Christie et nous avons sans doute tous raison.
Marnie exprime très vite un mauvais pressentiment alors que on sait déjà sa mère malade (p. 40). On s'inquiète de penser que le pire n'est jamais sur. La jeune Marnie est une drôle de fille, une chipie pourrait-on dire, mais le personnage va révéler une maturité rare pour son âge.
L'héroïne est orpheline. On reconnait bien là un des thèmes récurrents dans l'oeuvre de Gilles Paris. L'auteur place (comme toujours) à ses cotés un tuteur, qui ici est sa grand mère, Olivia, ressentie par l'enfant comme l'arbre centenaire sur qui tous les orages se sont abattus sans arracher la moindre écorce. (p. 96)
Aucune famille n'est "normale" sur cette Ile. Marnie se vit comme une bâtarde qui sait tout (comme tous les enfants) et le non-dit dans lequel on l'élève nourrit sa révolte. D'autant plus dans une famille où l'on ne montre pas son chagrin (p. 62) et où le mensonge devient une vertu.
Gilles Paris dénonce une nouvelle fois les ravages de l'alcoolisme, et les violences familiales. Il s'exprime par la voix d'Olivia : j'espère que la plupart des femmes battues finissent par s'inventer un monde qui, s'il n'atténue pas la douleur des coups, offre tout de même un abri sous lequel elles peuvent s'échapper un moment. (p. 79)
Et, plus loin (p. 141) la violence est une maladie de l'âme, que elle soit sous l'emprise de l'alcool ou de la colère.
Une forme de romantisme émerge souvent. On retrouve aussi des occasions de résilience, sous une plume acérée, mais fondamentalement optimiste. Ainsi la fleuriste Agatha rapporte (p. 53) les paroles de Rose : les accrocs de la vie rendent les instants de bonheur plus intenses.
Tous les ingrédients sont réunis pour qu'on dévore le roman comme un policier. Nous arpentons le décor, très minéral et pourtant fleuri à la recherche nous aussi de cette sorte de vertige comme une fleur qui cherche l'eau mais pas un vase. ( p. 75)
L'auteur a le sens des formules, parfois graves, parfois légères, avec un humour qui ne se cache pas. Les phrases ont du rythme. Les chapitres sont courts. Chacun serait presque une photographie légendée. On éprouve la sensation à la fin d'avoir feuilleté un album de famille qui aurait raconté l'histoire d'une vie.
Le vertige des falaises de Gilles Paris, Plon, en librairie depuis le 5 avril 2017
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