J'ai le plaisir de "suivre" plusieurs auteurs et de constater chez certains (car ce n'est pas systématique), l'affirmation d'un style d'ouvrage en ouvrage. Quelques-uns développent, à l'instar des crus, une puissance aromatique singulière.
Lorraine Fouchet est de cette trempe. Alors son éditeur pourrait bien oublier de faire imprimer le titre, je le lirais quand même.
N'empêche que nous avions eu Lorraine et moi il y a quelques mois une discussion quasi acharnée à propos de ce titre Les couleurs de la vie que je trouvais sans surprise et peu accrocheur. J'aurais opté pour Une vie haute en couleurs ... ou alors (après lecture) pour Le carnet indigo si on voulait rester à tout prix sur ce registre. Il faut dire que la couverture donne envie de l'ouvrir et c'est l'essentiel.
Avoir entre les mains un livre fraîchement sorti est une joie, un trac aussi. Quels mots trouverai-je cette fois-ci pour exprimer mes éventuels doutes à l'auteur qui a écrit une si touchante dédicace à mon attention ? Une fois passées les cinquante premières pages, alors que je suis rassurée, je peux me caler dans mon fauteuil avec délice. Et pourtant le sujet n'est pas facile.
La nouvelle qui tombe un "joli jour" de mai a de quoi plomber l'atmosphère, et Kim va avoir une raison légitime de chercher à lever les voiles. Quand d'autres jeunes femmes sombreraient dans une dépression stérile, l'héroïne de Lorraine transcende sa souffrance en se mettant au service des autres, dans le but de comprendre ce que sa grand-mère a eu le courage de refuser, ou ce qu'elle n'a pas eu le cran de vivre. Et ça me touche au-delà de ce que vous pouvez imaginer !!!
J'adore cet état d'esprit. Avoir la trempe de mettre de coté ses émotions pour aller au devant de celles des autres.
Fraîchement débarquée de son île bretonne à Antibes pour devenir la dame de compagnie de Gilonne, Kim sera frappée par la complicité qui unit cette ancienne actrice à son fils unique. Aussi, quelle ne sera pas sa surprise lorsqu’elle apprendra que celui-ci aurait disparu des années plus tôt… Guidée par son désir de protéger celle qui pourrait être sa grand-mère, la jeune fille tentera de percer le secret de cette mystérieuse famille.
On voyage en musique d'un bord de mer à un autre, entre Groix et Antibes, en passant par Epernay. Lorraine alterne le je et le il, les lieux, les situations et les points de vue. Il y a quelque chose de l'ordre du policier dans ce roman (comme il y en avait à mon avis dans Le vertige des falaises, récemment chroniqué). Pour résoudre une énigme principale, et une autre, en filigrane : la vie vaut-elle son pesant de cacahuètes ?
Sur le plan de la forme on ne s'étonne pas de démarrer à Groix, où vit Lorraine Fouchet la moitié de son temps, ni de retrouver les petits dessins qui ponctuaient les débuts de chapitre du précédent, Entre ciel et Lou. L'héroine de ce roman avait un prénom inhabituel (comme l'est celui de l'auteur). Il est sans doute logique qu'elle en choisisse de peu ordinaires pour ses personnages : Gilonne, Kim, Côme...
Pas plus que d'entendre, tout le long du récit, des morceaux de musique ou de chansons qui sont -cela devient là aussi une habitude et il faut la saluer- répertoriés en play-list à la fin (p. 393). Je sais que ce n'est pas possible, mais j'adorerais qu'un CD compilant les oeuvres choisies par un auteur soit inséré dans le roman pour accompagner notre lecture, ou la prolonger.
Si je devais composer un pitch pour présenter à la radio Les couleurs de la vie (et quand bien même Ton héritage, de Benjamin Biolay serait peut-être la chanson la plus évocatrice du contenu du livre) je commencerais avec Cat Stevens qui chantait en 1972 (certes, il faut se replacer dans le contexte post soixante-huitard :
If you want to be free, be free
Cause there's a million things to be
You know that there are
Je maintiens donc malgré tout que dans cet opus là il n'est pas tant question de couleurs que de musique ... J'ai envie d'ailleurs de vous recommander d'écouter Green Onions (1962) qui est une composition de Booker T. & the M.G.'s basée sur une musique populaire afro-américaine ayant émergé à la fin des années 1950 aux États-Unis, dérivée, entre autres, du gospel et du rhythm and blues.
Le cinéma a aussi la part belle et les films cités auraient pu faire l'objet d'une autre liste. Parmi eux, Love letters, bien sur qui a été adapté à deux reprises sur le grand écran et qui est interprété en ce moment au théâtre à la Comédie des Champs-Elysées.
On pourrait aussi trouver en annexe un florilège des citations. Elle cite (p. 20) André Malraux qui écrivait dans les Conquérants, Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie. Je lui attribue régulièrement que la vieillesse est un naufrage mais Lorraine Fouchet m'apprend que c'est Chateaubriand qui l'écrivit dans ses Mémoires d'outre-tombe. Je note.
J'ignorais aussi que l'injonction que j'ai tant entendue dans mon enfance, En route mauvaise troupe, (p. 72) était le début d'un poème de Verlaine, qui poursuit dans son Prologue Partez, mes enfants perdus !
Tout cela n'est guère hygge tout de même, alors que Lorraine Fouchet célèbre dans son livre ce mouvement qui fait tellement fureur (j'avais repéré un ouvrage sur le sujet au dernier Salon Livre Paris).
Ce mot d'origine danoise et norvégienne fait référence à un sentiment de bien-être, créant un état d'esprit positif ... Par contre le champagne, les bergamotes, les irish-coffees, les animaux le sont ... c'est écrit dans la liste (encore une p. 391) que l'auteur nous donne pour convaincre que la vie vaut la peine d'être vécue à tous les âges.
Un auteur exerce une influence insoupçonnée. Effet papillon se défendront certains, ... peut-être, mais si c'était vrai ce livre devrait alors être largement prescrit pour démarrer une cure d'optimisme.
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