Quel thriller ! Je m'attendais à une comédie dramatique dans la lignée des précédents romans que j'avais d'ailleurs particulièrement appréciés. Ce fut un uppercut. Qu'on ne se méprenne pas. J'ai aimé aussi. Beaucoup même.
Page 156 j'étais (moi aussi) sonnée en "refermant" l'Ipad (puisque je l'ai lu en format numérique). Et ce n'est qu'en reprenant mes notes électroniques que j'ai pris conscience que je n'avais pas remarqué les deux dernières pages. La fin s'en trouve changée.
Avec ce quatrième roman Xavier de Moulins confirme un statut d'écrivain.
Charles Draper forme avec Mathilde un couple qui semble idyllique. Sauf que pour lui faire plaisir il a consenti à un sacrifice qui va s'avérer peut-être lourd de conséquence : il a accepté cette mise au vert uniquement pour le bonheur de sa femme. Sans elle, il n'aurait jamais quitté la rue de Vaugirard. C'est beaucoup, toute cette verdure, même à mi-temps. et ce calme étourdissant aux allures de cauchemar d'enfance, ces allers-retours en train, tout l'argent dépensé pour cette ruine. (p. 28)
Et la dernière réplique du chapitre sur le conseil de sa soeur : profite bien de ton coin de paradis, c'est vraiment d'enfer, sème un sérieux doute dans notre cerveau de lecteur.
Pour ce qui est des doutes, Charles nous bat à plate couture. Il estime que Mathilde s'éloigne de lui depuis qu'il prend le train. Comme si la distance kilométrique engendrait une distance affective.
Charles est un manager. Il dirige une entreprise de déménagement. Il a l'habitude de régler des problèmes. Alors il cherche une solution à l'énigme qu'il traverse. Tout fait indice et alimente le feu de sa jalousie. Car c'est bien dans cet engrenage qu'il est en train de se faire broyer. Sauf si, comme le lecteur le suppose, il y a une autre explication à trouver.
Xavier de Moulins laisse échapper un important détail au tout début : Charles a du sang derrière l'oreille. Charles va pourtant gagner notre empathie au bénéfice du doute. Son angoisse, si féminine, d'être trop gros et d'avoir quelques kilos à perdre, donne envie de compatir. On devine que son programme de coaching (p. 56) aura raison de son organisme : le lundi c'est le jour des épaules et des bras. Le mardi, celui des pectoraux et des abdominaux. Le mercredi, la séance jambes, le jeudi, fessiers, triceps et obliques se conjuguent au plus-que-martyre. le vendredi, retour à la brioche, course sur tapis, longue séance de cardiotraining. Le samedi, programme plus léger consacré à la marche rapide en côte, et encore une fois à se brûler les abdominaux. Enfin le dimanche ...
Parallèlement, Mathilde ne va pas très bien. Charles a donc raison de s'inquiéter : À force de remettre son chagrin à plus tard, il a forcé tous les barrages. Mathilde sait très bien pourquoi cette envie de pleurer la submerge. (p.60)
Touchant dans sa maladresse à comprendre pourquoi sa femme va si mal Charles se remet davantage en cause, poursuit le coaching sportif plutôt courageusement, se met à suivre le rythme de ses équipes de déménageurs, frôle l'AVC ... (p. 66).
On voudrait sourire, se moquer un tantinet, mais Xavier de Moulins n'a pas écrit une comédie romantique. On n'oublie pas le mot sang qu'on a lu page 9.
C'est logique, notre homme craque, terrassé par la peur de tout perdre, écrit-il page 67.
Il faut reconnaitre que la technologie n'est pas systématiquement une alliée : Autrefois, après l'amour, on fumait une cigarette ; aujourd'hui on allume son portable. On dirait que Mathilde a un nouveau message.
Autrefois effectivement le démon de la jalousie amenait à faire les poches et à étudier l'agenda. Aujourd'hui l'envie de fouiller dans la mémoire d'un téléphone est difficilement contenable (p. 81). En faisant office d'appareil photo, de camera, de boite aux lettres instantanées, nos téléphones sont les couteaux suisses de la trahison, des accélérateurs de paranoïa.
Et c'est bien dans une furie de cet ordre que Charles est tombé. La jalousie taquine qui serait touchante s'est élevée au niveau d'un tsunami. Il va subir la fatigue et le stress engendré par l'intensité de son programme sportif, contrôlé par bracelet électronique comme un prisonnier en liberté conditionnelle. Charles se fait des films de plus en plus lourdement scénarisés par ses angoisses.
Le naufrage de la vieillesse de ses deux parents (p. 111) ne lui offre pas une perspective rassurante. Tout cela va mal finir. Probablement.
Ne comptez pas sur moi pour vous révéler la chute. Je vous dirai juste que Charles Draper est un échafaudage dramatique admirablement architecturé. C'est un de ces romans que l'on n'oublie pas.
Avec ce quatrième roman Xavier de Moulins confirme un statut d'écrivain.
Charles Draper forme avec Mathilde un couple qui semble idyllique. Sauf que pour lui faire plaisir il a consenti à un sacrifice qui va s'avérer peut-être lourd de conséquence : il a accepté cette mise au vert uniquement pour le bonheur de sa femme. Sans elle, il n'aurait jamais quitté la rue de Vaugirard. C'est beaucoup, toute cette verdure, même à mi-temps. et ce calme étourdissant aux allures de cauchemar d'enfance, ces allers-retours en train, tout l'argent dépensé pour cette ruine. (p. 28)
Et la dernière réplique du chapitre sur le conseil de sa soeur : profite bien de ton coin de paradis, c'est vraiment d'enfer, sème un sérieux doute dans notre cerveau de lecteur.
Pour ce qui est des doutes, Charles nous bat à plate couture. Il estime que Mathilde s'éloigne de lui depuis qu'il prend le train. Comme si la distance kilométrique engendrait une distance affective.
Charles est un manager. Il dirige une entreprise de déménagement. Il a l'habitude de régler des problèmes. Alors il cherche une solution à l'énigme qu'il traverse. Tout fait indice et alimente le feu de sa jalousie. Car c'est bien dans cet engrenage qu'il est en train de se faire broyer. Sauf si, comme le lecteur le suppose, il y a une autre explication à trouver.
Xavier de Moulins laisse échapper un important détail au tout début : Charles a du sang derrière l'oreille. Charles va pourtant gagner notre empathie au bénéfice du doute. Son angoisse, si féminine, d'être trop gros et d'avoir quelques kilos à perdre, donne envie de compatir. On devine que son programme de coaching (p. 56) aura raison de son organisme : le lundi c'est le jour des épaules et des bras. Le mardi, celui des pectoraux et des abdominaux. Le mercredi, la séance jambes, le jeudi, fessiers, triceps et obliques se conjuguent au plus-que-martyre. le vendredi, retour à la brioche, course sur tapis, longue séance de cardiotraining. Le samedi, programme plus léger consacré à la marche rapide en côte, et encore une fois à se brûler les abdominaux. Enfin le dimanche ...
Parallèlement, Mathilde ne va pas très bien. Charles a donc raison de s'inquiéter : À force de remettre son chagrin à plus tard, il a forcé tous les barrages. Mathilde sait très bien pourquoi cette envie de pleurer la submerge. (p.60)
Touchant dans sa maladresse à comprendre pourquoi sa femme va si mal Charles se remet davantage en cause, poursuit le coaching sportif plutôt courageusement, se met à suivre le rythme de ses équipes de déménageurs, frôle l'AVC ... (p. 66).
On voudrait sourire, se moquer un tantinet, mais Xavier de Moulins n'a pas écrit une comédie romantique. On n'oublie pas le mot sang qu'on a lu page 9.
C'est logique, notre homme craque, terrassé par la peur de tout perdre, écrit-il page 67.
Il faut reconnaitre que la technologie n'est pas systématiquement une alliée : Autrefois, après l'amour, on fumait une cigarette ; aujourd'hui on allume son portable. On dirait que Mathilde a un nouveau message.
Autrefois effectivement le démon de la jalousie amenait à faire les poches et à étudier l'agenda. Aujourd'hui l'envie de fouiller dans la mémoire d'un téléphone est difficilement contenable (p. 81). En faisant office d'appareil photo, de camera, de boite aux lettres instantanées, nos téléphones sont les couteaux suisses de la trahison, des accélérateurs de paranoïa.
Et c'est bien dans une furie de cet ordre que Charles est tombé. La jalousie taquine qui serait touchante s'est élevée au niveau d'un tsunami. Il va subir la fatigue et le stress engendré par l'intensité de son programme sportif, contrôlé par bracelet électronique comme un prisonnier en liberté conditionnelle. Charles se fait des films de plus en plus lourdement scénarisés par ses angoisses.
Le naufrage de la vieillesse de ses deux parents (p. 111) ne lui offre pas une perspective rassurante. Tout cela va mal finir. Probablement.
Ne comptez pas sur moi pour vous révéler la chute. Je vous dirai juste que Charles Draper est un échafaudage dramatique admirablement architecturé. C'est un de ces romans que l'on n'oublie pas.
Charles Draper de Xavier de Moulins, chez JC Lattès, en librairie depuis le 10 février 2016
NB : Les numéros faisant référence aux citations ont été relevés sur une version numérique de 156 pages.
1 commentaire:
Bravo pour cette chronique. Je pense moi aussi que le côté thriller est à mettre en avant dans ce roman qui m'a également beaucoup plu.
http://urlz.fr/3j5j
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