Le premier roman de Johanna Krawczyk raconte une résilience transgénérationnelle différente de celles que j'ai pu lire jusqu'à maintenant.
Je sais que certaines personnes ont été heurtées par la violence de quelques scènes. Connaissant la situation en Argentine, elles ne m'ont pas surprises et je les ai acceptées comme nécessaires à la progression du récit. Je me suis efforcée aussi de les considérer comme malgré tout appartenant à la fiction et pas un instant je n'ai imaginé que je lisais une véritable histoire de famille.
Ceci posé, j'ai beaucoup aimé ce roman. Avant elle a des points de convergence avec Double fond d'Elsa Osorio, que j'avais découvert il y a trois ans. J'en recommande la lecture à tous ceux qui auront envie d'un complément d'éclairage sur la période, sans pour autant verser dans le documentaire.
Johanna Krawczyk s’adresse régulièrement à son père en prenant le lecteur à témoin en le tutoyant. C'est une façon très habile de nous impliquer. Surtout quand le chapitre peut sembler long, avec des paragraphes un peu juxtaposés mais sans que ce soit dérangeant pour autant dès lors que l'on est attentif aux changements de typographie.
Il est possible que l'auteure aura voulu suggérer combien la pensée de son personnage principal est chahutée par la violence des souvenirs et par son alcoolisme. Le suicide de sa mère alors qu'elle n'avait que dix ans e tua mort récente de son père (réfugié politique argentin) l'ont complètement fait dérailler. Son mari, de guerre lasse, a abandonné l'espoir de l'aider et a déserté le foyer avec leur enfant.
Ce qui est particulièrement touchant c'est la lucidité et le sincérité avec lesquelles Carmen reconnait qu'elle ne parvient pas à être ni une "bonne" mère ni une "bonne" épouse, ni encore une "bonne" employée. Alors qu'elle désespère de tout elle va être contactée par une entreprise de garde-meubles. Elle apprendra que son père y louait un box. Elle trouvera sur place un bureau et une petite clé.
Elle découvrira des photographies, des lettres, des coupures de presse. Et sept carnets, des journaux intimes qui lui délivreront une vérité qu'elle aura grand mal à accepter. Gardons en mémoire le conseil de Marcos (le copain de son père) qui lui apprend qu’il faut se battre pour obtenir ce qu’on veut dans la vie (p. 66).
Il y a quelques références historiques. Elles étaient inévitables; A commencer par le symbole Évita, une femme lumineuse qui meurt en 1952, en même temps que le rêve d’une nation justicialiste, où rien ni personne n’aurait exploité l’homme (p. 82).
J'en ai remarqué d'autres. J'ai souri de la citation de Théâtre Ouvert (p. 32), un lieu que je connais si bien depuis tant d'années puisque je chronique régulièrement des spectacles.
Il a complètement sa place dans la sélection 2021 des 68 premières fois, à l'instar de plusieurs autres où la mort des parents ou d'un proche est en toile de fond (je pense particulièrement aux Après-midi d'hiver, à Over the Rainbow, à Grand Platinum, Il est juste que les forts soient frappés …) et qui chacun à leur manière fouille l'épineuse question du devoir de mémoire. Voilà aussi encore un roman qui explore les limites extrêmes du mensonge et de sa légitimité pour protéger ceux qu'on aime. Sans occulter son corollaire, l'aveu, qui, peut-être est la seule voie qui mène au pardon.
Avant elle de Johanna Krawczyk, Èditions Heloise d’Ormesson, en librairie depuis le 21 janvier 2021
L'illustration de couverture est de Simon Pemberton/Heart Agency
2 commentaires:
Pour avoir lu d'autres romans sur la dictature en Argentine - tu cites notamment Elsa Osorio, Double-fond, en effet, et j'ajouterais Luz ou le temps sauvage - et ailleurs en Amérique latine, je trouve que l'auteure nous épargne très largement ! Quoi qu'il en soit, comme tu le dis, difficile de l'éviter dans un tel contexte.
Ce roman n'est pas inintéressant, mais pour ma part, j'ai lu des textes beaucoup plus forts et qui vont beaucoup plus loin pour faire comprendre ce qu'ont été ces régimes.
C’est tout à fait juste. Merci pour la référence à laquelle j’aurais dû penser. Sans doute l’ai-je oublié car le thème de ce roman (et je te rejoins sur ce ressenti) n’est pas un témoignage sur ces régimes mais plus sur la question de la figure paternelle et surtout autour du rapport à la vérité.
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